Menu Content/Inhalt
Accueil
Monsanto ou la conquête du Cône Sud Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
09-05-2009
« On peut vraiment parler de ‘sojización’ du Cône Sud parce que les OGM de Monsanto couvrent aujourd’hui 40 millions d’hectares en Bolivie, Paraguay, Brésil et Argentine. Mais cette expansion vertigineuse, qui se fait au détriment des petits paysans de la région, est plus qu’un phénomène agricole : c’est aussi un véritable projet politique hégémonique », affirme Tomas Palau, sociologue paraguayen spécialisé en thèmes agricoles, que Marie-Monique Robin * a interviewé dans les environs de Asuncion. Para Palau, cette corporation contrôle de fait la politique agro-alimentaire et commercial de la région, et « son pouvoir dépasse de beaucoup celui des gouvernements nationaux ».
 
L’aventure transgénique dans le Cône Sud a commencé au milieu de la décennie 90 avec en pointe de mire le Brésil, aujourd’hui second producteur mondial après les Etats-Unis. Mais des obstacles légaux ont surgit : la Constitution brésilienne exige que les cultures transgéniques soient soumises à des études d’impact environnemental avant d’autoriser leur « libération », ce qui n’a pas été le cas ; et en Argentine, Mosanto n’a jamais pu breveter son OGM parce que les lois ne le permettent pas. Ce fut la politique ultralibérale de Carlos Menem –qui a supprimé les mécanismes de protection du secteur agricole pour livrer la production aux lois du marché– ce qui a facilité le lancement du projet transgénique dans la région.

Invasion imparable. A partir de 1994, Mosanto vend des licences aux principales fabriques de semences du pays, sans que ne s’élèvent de voix contre la biotechnologie. Marie-Monique Robin rappelle que l’introduction des OGM en Argentine s’est faite sans débat public, même parlementaire, et qu’il n’y a même pas de lois qui encadrent leur commercialisation. La société civile, signale-t-elle, « n’est même pas représentée dans la Commission Nationale Conseillère de Biotechnologie Agricole (CONABIA), un organisme consultatif créé par Menem pour donner une facade légale aux OGM ». Roundup Ready a été autorisé en 1996 et s’est étendu dans le pays à une vitesse unique dans son histoire : en moyenne plus d’un million d’hectares par an. Des chiffres de 2005 ont indiqué que la moitié des terres cultivables est semée avec du soja transgénique, c’est à dire 14 millions d’hectares et 37 millions de tonnes, dont 90% s’exportent, principalement en Europe et en Chine. La plantation directe –dont le cadre technique est garanti par la AAPRESID, qui regroupe 1 500 grands producteurs– en plus de  l’offre du « paquet technologique » à un coût trois fois moins élevé que sa valeur aux Etats-Unis, à la crise de la vache folle et à la hausse de la cotisation mondiale des oléagineux ont terminé par consacrer le succès de la semence transgénique.

Selon Eduardo Bussi, titulaire de la Fédération Agraire Argentine, « nous assistons à une expansion sans précédents de l’agro-business dirigé à l’exportation, au détriment de l’agriculture familiale, qui disparaît. Les paysans qui s’en vont sont remplacés par des fonds de pension ou des investisseurs de consortiums de semences lancés à la monoculture du soja en collaboration avec Cargill ou Monsanto ». Parrallèlement, a lieu une rétraction d’autres produits et cultures. Selon des chiffres officiels, de 1997 à 2002, le nombre de laiteries s’est réduit de 27% (pour la première fois le pays a du importer du lait d’Uruguay) ; la production de riz a baissé de 44% ; celle de maïs de 26% ; celle de girasol de 34% ; celle viande bovine de 36%.
Dario Gianfelci, un médecin de Cerrito (5 000 habitants), dans la province de Entre Rios, signale que comme conséquence des fumigations, les médecins de la région ont constaté des augmentations significatives d’avortements naturels, de disfonctions reinales et tiroïdales, d’endèmes pulmonaires et de maladies hépatiques, dermatologiques et occulaires parmi la population.   

Déforestation alarmante. La déforestation est un autre des phénomènes derrivés de la monoculture de soja. Des régions caractérisées historiquement par leur grande biodiversité et une économie de culture familiale (manioc, pomme de terre, un peu de riz ou de maïs) ont commencé à déboiser leurs forêts natives pour semer du soja transgénique. La province de Santiago del Estero, avec un des taux de déforestation les plus élevés (0,81% de moyenne annuelle contre 0,23% dans le monde), a littéralement brûlé 220 000 hectares de forêts pour la plantation de soja entre 1998 et 2002. Dans la même période, la province de Salta a déboisé 170 000 hectares et la province du Chaco, 118 000. « Entre 1998 et 2004, ont disparu en Argentine 800 000 hectares de forêts », affirme Jorge Menendez, directeur de la Secrétariat de l’Environnement en charge des forêts.

Le boom du soja transgénique a prit avec force dans les limitrophes Brésil et Paraguay. En une décennie, ce dernier pays est devenu le sixième producteur mondial et le quatrième exportateur avec plus de deux millions d’hectares. « Les semences  transgéniques sont entrées de manière irrégulière », admet Roberto Franco, ministre adjoint de l’Agriculture en 2007. « C’est ce que nous appelons la BOLSA blanche (‘bolsa blanca’) parce qu’elles sont arrivés dans des sacs blancs sans indication de provenance... Elles venaient directement d’Argentine mais aussi du Brésil », ajoute-t-il. De fait, aucune loi paraguayenne autorise la culture d’OGM, qui cependant couvre la moitié de ses terres cultivées. « Pour éviter de perdre nos marchés (le soja représente 10% du PNB), nous avons dû... légaliser les cultures illégales parce que nous exportons presque la totalité de nos grains, 23% à l’Union Européenne qui exige de les étiqueter s’ils contiennent des OGM ». Campos admet que le gouvernement s’est retrouvé devant un fait consumé et que la même chose est arrivée avec le coton Bt, « qui se propage sans autorisation officielle et sans une loi qui le réglemente ». Interrogé sur le fait de savoir s’il s’est agit d’un piège, il répond : « nous ne sommes pas les seuls : le Brésil a subi le même sort ».       

En 2003, année où a accédé Lula da Silva à la présidence, l’impossibilité de distinguer entre soja conventionnel ou transgénique a directement menacé les exportations brésiliennes. Lula a alors signé un décret autorisant (provisoirement) la vente de soja Roundup Ready pour la récolte de 2003 et la plantation et la commercialisation en 2004, et il a proposé aux producteurs d’OGM de déclarer leurs récoltes pour mettre en place la ségrégation. Une clameur de protestation s’est élevée de la part des organisations écologistes et paysannes qui considérènt le décret comme une abdication du nouveau gouvernement devant l’agrobusiness. En réalité, Monsanto avait déjà installé, en 2001, un pôle pétrochimique à Camacari, estado de Bahia (le plus important investissement en dehors des Etats-Unis), pour fournir les constituants de Roundup aux fabriques brésiliennes, argentines et à la belge, située à Anvers.

Une fois les cultures autorisées, la multinationale a exigé les droits de propriété sur le gène, qui pour la seule première année (2003) lui ont rapporté 160 millions de dollars. Elle a aussi signé des accords avec le Paraguay en 2004.

En Argentine, après le renoncement initial à toucher des royalties, Monsanto a changé de posture et a menacé de se retirer du pays si on ne lui payait pas le brevet, ce qui a déclenché la colère officielle. Huit ans après le débarquement transgénique, on a calculé que seulement 18% des semences sont certifiées. L’entreprise a commencé à enregistrer les bateaux arrivant en Europe et a terminé par porter le litige aux tribunaux de Bruxelles, ce qui signifie une menace pour les exportations locales.

« Ceci est le dernier maillon d’un modèle de production intensif que les multinationales du nord vendent aux pays du sud », affirme l’agronome argentin Walter Pengue, citée par Marie-Monique Robin comme une autorité mondiale en matière de soja transgénique. Pengue soutient que les monocultures menacent la sécurité alimentaire qui se soutient sur la biodiversité, car « Monsanto s’approprie des semences après de leur transformation en grains et finalement contrôle toute la chaine. Qui contrôle les semences contrôle la nourriture, et par conséquent les êtres humains... ».

 
* Ce fut d’abord un documentaire ; à partir de là, un livre : Le monde selon Monsanto. Dans les deux, la journaliste francaise Marie-Monique Robin déploit avec rigueur et minutie magistrales, la ténébreuse histoire de la transnationale agrochimique et biotechnologique Monsanto. Elle dénonce le danger extrême de ses produits et décrit les troubles manoeuvres avec lesquelles la compagnie est parvenue à controler une bonne partie du commerce mondial des semences transgéniques. Cependant, en Allemagne, le ministère de l’Agriculture et de Défense du consommateur a interdit la culture d’une variété de maïs transgénique développée par cette entreprise ; en Argentine, la ministre de la Défense a interdit la plantation de soja génétiquement modifié dans les champs appartenant aux Forces Armées, et un rapport de l’Université de Buenos Aires et du Conicet signale que l’herbicide gliphosate constitueune menace pour la santé humaine.


Adolfo Coronato, Le Monde diplomatique, édition Cône Sud, mai 2009.

Traduit par http://amerikenlutte.free.fr
 
< Précédent   Suivant >

Soutien !

Si vous voulez collaborer au site en proposant des traductions ou soutenir financèrement ce projet 100 % indépendant, merci de nous contacter !