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Mexique : La Guelaguetza de Oaxaca (2/2) Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
15-12-2009

Deuxième partie

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Oaxaca la conservatrice a changé depuis les années 1930. Les victimes de la politique libérale, qui vise à faire le vide dans les campagnes, ont afflué par milliers dans la capitale, bâtissant autant de colonias qui s’étendent dans la vallée ou grimpent à flanc de colline. Oaxaca devient indigène et prolétaire. Ce sont les habitants de ces colonias qui ont joué un rôle décisif en 2006 dans la construction et la défense des barricades. Ce sont les bandes de jeunes descendus de ces périphéries qui ont fourni, en grande partie, les éléments les plus déterminés lors des affrontements de l’automne 2006.

En 2006, précisément, la ville est en état d’insurrection. Le soutien au mouvement des maîtres d’école a débordé : la plèbe occupe la ville et exige la destitution du gouverneur Ulises Ruiz. L’autocrate est en fuite, les flics interdits de séjour, et la Guelaguetza est annulée – Ulises Ruiz en est alors à chercher désespérément dans tout l’État d’Oaxaca une localité qui veuille bien l’accueillir, lui et son gouvernement… Mais pour la plupart des Oaxaqueños, une année sans Guelaguetza est impensable. L’événement fait désormais partie de la vie locale… L’Asamblea Popular de los Pueblos d’Oaxaca (APPO) organise alors une Guelaguetza populaire et non commerciale. Dans cette situation insurrectionnelle qui bouleverse de fond en comble la psychogéographie de la ville – par ex., les touristes ont disparu – la célébration des cultures indigènes prend une autre signification et une autre forme.

 

La suite des événements de 2006 est connue : échec de la police à s’emparer des barricades, puis intervention de l’armée et répression impitoyable qui, outre 26 personnes abattues par les paramilitaires, laissera de nombreux blessés, emprisonnés et disparus.

 

On sait que l’enjeu du conflit dépassait les limites de l’État d’Oaxaca : comme le commentèrent les leaders nationaux du PRI et du PAN, si l’État fédéral laissait Ruiz tomber sous les coups d’une insurrection populaire, n’importe quel autre gouvernement, et pourquoi pas le gouvernement fédéral lui-même, pouvait tomber de la même manière… Une victoire des insurgés d’Oaxaca aurait constitué un formidable appel d’air pour toutes les forces de la rébellion sociale au Mexique.

 

La Guelaguetza de juillet 2007 se présente donc dans des conditions tendues. L’APPO, affaiblie par la répression et par les tentatives de manipulation internes, ne peut décemment laisser se dérouler ce show qui sert à dorer le blason extérieur du gouvernement régional et qui, à la lumière de la répression, apparaît enfin comme une exploitation éhontée de ces mondes indigènes présents dans l’insurrection de 2006. Que la Guelaguetza puisse se dérouler en toute quiétude, comme si rien ne s’était passé entre-temps et alors que tant de familles sont endeuillées, que tant d’autres ont encore des proches en prison, signifierait que les aspirations de 2006 sont définitivement éteintes. Inversement, pour le gouvernement PRI, le fait que la Guelaguetza puisse se dérouler dans les conditions habituelles confirmerait avec éclat le retour à la normale proclamé depuis le 26 novembre 2006.

 

Le 16 juillet 2007 une marche d’environ 10 000 personnes se dirige donc vers l’Auditorio, afin d’empêcher le déroulement du spectacle, tandis que sur une place en ville se déroulent des danses de la Guelaguetza populaire. Les dirigeants de l’APPO prétendent qu’il s’agissait simplement de protester, mais la réalité du conflit dans Oaxaca est qu’on avait largement dépassé le stade de la protestation pour celui de l’action directe. Quelles qu’aient été les intentions des différentes composantes de l’APPO, le fait est que la police réagit avec une extrême violence dès que la foule approche du Cerro del Fortin – deux sympathisants de l’APPO sont méthodiquement massacrés à coups de crosse, et resteront dans le coma plusieurs semaines : l’intimidation policière s’adresse à quiconque aurait envie de rejoindre le cortège. Pas moins de cinq autobus, un camion et plusieurs voitures mis en travers de la route de l’Auditorio sont

incendiés, et un hôtel de luxe situé à proximité doit être évacué. Les blessés se comptent par dizaines…

 

Malgré cela, la Guelaguetza insurrectionnelle de l’année précédente est pérennisée, comme une conquête (ou plutôt reconquête) de la plèbe oaxaqueña. Organisée par l’APPO et la Section 22, cette Guelaguetza popular, sur le vaste terrain de sport de l’Instituto Tecnológico d’Oaxaca, à la sortie de la ville, est gratuite et ne fait l’objet d’aucune promotion touristique. Elle réinscrit de fait les cultures des peuples indigènes d’Oaxaca dans la perspective de cette résistance séculaire que ceux-ci opposent au pouvoir.

 

Mais la relation entre les maîtres d’école et les communautés indigènes a toujours été ambigüe. Dans les pueblos, les premiers, chargés de castillaniser les seconds, n’ont pas toujours une grande intelligence de la vie commune. Les communautés, de leur côté, reprochent souvent aux maîtres leur désintérêt pour le tequio et la guelaguetza. En fait, les attitudes varient selon les personnes, et certains maîtres n’hésitent pas à participer à ces activités-là, se gagnant ainsi une considération que leur seule fonction n’aurait suffi à leur assurer. En 2006, les communautés indigènes avaient fini par rejoindre le mouvement d’occupation d’Oaxaca, après une phase de méfiance initiale face au mouvement des maîtres.

 

Aujourd’hui encore, les choses sont loin d’être claires entre les dirigeants de la Section 22 et les communautés indigènes. Seul le CMPIO, qui regroupe environ 1 300 adhérents, revendique au sein des maîtres d’école la défense et la promotion des cultures indigènes ; pour les autres, il est probable qu’une certaine schizophrénie culturelle afflige la plupart des maîtres, généralement d’origine indigène et chargés de faire entrer les petits indigènes dans l’univers de la culture dominante, qui est celui du castillan. En 1997, le Forum indigène d’Oaxaca critiquait ouvertement l’école comme instrument de l’État assurant la liquidation des cultures indigènes. L’hiatus entre la fonction magistériale et les communautés indigènes se trouve accusé du fait que cette fonction, précisément, amène certains de ces maîtres à assumer un rôle militant.

Ceux-là sont souvent acquis à une vision jacobine, marxiste et léniniste à laquelle le monde indigène reste majoritairement imperméable, vision qui se répercute dans certains courants de l’APPO et de la Section 22…

 

Si la Guelaguetza officielle fonctionne sans la moindre ambigüité comme un instrument de promotion touristique et de réaffirmation solennelle du pouvoir, la Guelaguetza populaire est au contraire chargée de toutes les ambiguïtés propres à un mouvement agité de tendances contradictoires. On peut évidemment, au vu de tout ce qui s’est passé à l’intérieur de l’APPO en 2006, considérer que pour certains leaders la Guelaguetza populaire est avant tout un enjeu de pouvoir. Quant à la Section 22, pour dissidente qu’elle soit par rapport au syndicat officiel des enseignants, elle n’en reste pas moins une organisation verticale où deux tendances autoritaires se disputent le pouvoir en permanence. Ce sont ses dirigeants qui ont trahi leur base en octobre 2006 en décidant la reprise du travail alors que la ville se trouvait en pleine insurrection. Ces factions rivales luttant pour la direction du syndicat ont fini par se neutraliser, favorisant en 2009 l’élection comme président de la Section d’Azael

Santiago Chapi, jeune indigène de la Sierra Juarez, défenseur d’une vision horizontale.

 

L’édition 2009 de la Guelaguetza populaire a été un grand succès : environ 40 000 personnes sont passées, dans la journée du Lunes del Cerro, sur l’immense terrain sportif. Le tract distribué à l’entrée annonce clairement :

 

« LA GUELAGUETZA NO ES UNA MERCANCIA »

 

« La Guelaguetza es más que una fiesta. Es la manifestación cultural de los pueblos indigenas que muestran una profunda forma de convivencia social, reflejándose la expresión de los 16 pueblos indígenas con un profundo lazo de fraternidad y de ayuda mutua, características propias de los pueblos indios. Éstas son la razones que han hecho posible resistir, ante las politicas caciquiles de saqueo y explotación expresados en el neoliberalismo y la globalización. »

 

C’est un hommage aux traditions sociales des communautés indigènes et à leur capacité d’opposer une résistance à l’expansion totalitaire du capital.

 

« Para rescatar la guelaguetza como una verdadera tradición popular, debe anteponerse ante el uso de productos de las empresas trasnacionales y el uso de plásticos que contaminen el medio ambiente. Ya que una visión profunda de los pueblos indígenas es estar en concordancia con la madre naturaleza. »

 

Donc, ni Pepsi ni Coca à la Guelaguetza populaire. C’est la moindre des choses : ces entreprises ravagent toute l’Amérique latine et pour le seul Mexique, tout le monde s’accorde à mettre en rapport la multiplication des cas d’obésité et de diabète ces dernières années avec la consommation effrénée de ces boissons industrielles. Par contre, un sympathique atelier procédant à la distillation en direct du mezcal accueillait les visiteurs… loin de l’ambiance mercantile de la Foire du Mezcal.

 

Si elle fonctionne comme représentation, la Guelaguetza populaire est aussi une offrande directe, non pas aux élites de l’État mais à la foule anonyme des insurgés de 2006 : les objets (fruits, gâteaux, produits gastronomiques, objets de fabrication artisanale) que les membres de chaque communauté distribuent en les lançant à la volée à travers la foule tout au long de la journée (occasionnant de joyeuses bousculades), mais aussi et surtout la possibilité que chaque communauté a ce jour-là de montrer aux autres ses formes d’expression culturelles. La Guelaguetza populaire rend hommage à ces cultures si longtemps méprisées et marginalisées par la Culture ; non pas l’hommage paternaliste du

gouverneur mais celui des compagnons de lutte. Face à un événement comme la Guelaguetza officielle qui se prétend purement culturel, la Guelaguetza populaire se pose ouvertement comme manifestation politique, parce qu’elle revendique en acte la vérité politique des cultures indigènes, là où la première conjugue le tourisme culturel avec l’affirmation du pouvoir.

 

Du point de vue de la lutte politique, cela aurait été une grave erreur de la part de l’APPO de ne pas occuper ce terrain de la Guelaguetza. Mais quelles que soient les arrière-pensées que certains dirigeants aient pu avoir, en organisant une Guelaguetza populaire l’APPO et la Section 22 ouvraient la voie à une vision critique de l’indigénisme. Les indigènes célébrés sur la scène de la Guelaguetza officielle sont neutralisés, tels ces Indiens d’Amérique du Nord emplumés qui exhibent leurs anciennes danses pour les touristes yankees aux portes de leur réserve. Dans la Guelaguetza populaire, ce sont les indigènes en lutte qui montent sur scène.

 

Les festivités de la Guelaguetza officielle, si l’on en croit les sites internet du gouvernement d’Oaxaca, ont attiré 55 000 personnes entre le 17 et le 27 juillet 2009. L’APPO et la Section 22, sans avoir les moyens de propagande du gouvernement ni le renfort des tour operators, ont su attirer à la Guelaguetza populaire 40 000 personnes, qui témoignent d’une authentique mobilisation autour de cet événement. En 2007, la Guelaguetza populaire avait accueilli peu de monde, l’intimidation violente de la police ayant fait son effet. En 2008, l’assistance était déjà plus nombreuse.

 

Bien qu’elle s’inspire de l’officielle, la Guelaguetza populaire la subvertit : celle-là, réaffirmation symbolique du pouvoir, se renverse, dans les mains de l’APPO, en contestation bien réelle. En même temps, les communautés indigènes réaffirment leur altérité fondamentale à la logique marchande.

 


(à suivre)

A.DELL’UMBRIA,
Marseille, septembre/octobre 2009.

Ce texte d’Alèssi Dell’Umbria, auteur de C’est la racaille ? Eh bien j’en suis ! (L’Échappée, 2006) et d’Histoire universelle de Marseille. De l’an mil à l’an deux mille (Agone, 2006), paraîtra aux éditions Rue des Cascades. / CSPCL

 

 

Envoyé pour le Comité de Solidarité aux Peuples de Chiapas en Lutte (CSPCL)

 
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