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Mexique : La Guelaguetza de Oaxaca (1/2) Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
15-12-2009

première partie

La APPO vive, la lucha sigue !

 

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Ce texte d’Alèssi Dell’Umbria, auteur de C’est la racaille ? Eh bien j’en suis ! (L’Échappée, 2006) et d’Histoire universelle de Marseille. De l’an mil à l’an deux mille (Agone, 2006), paraîtra aux éditions Rue des Cascades. / CSPCL

L’État d’Oaxaca, dans le sud-est du Mexique, comprend sept régions, les Valles centrales, la Sierra Juarez, la Cañada, Tuxtepec, la Mixteca, la Costa et l’Istmo de Tehuantepec, et inclut seize ethnies indigènes. C’est l’un des États du Mexique où la densité de population indigène est la plus forte, et le seul où les autorités traditionnelles soient reconnues juridiquement.

Guelaguetza, tequío et gozona sont les concepts fondamentaux du monde indigène oaxaqueño. Le tequío désigne le service bénévole fourni à la communauté, notamment lors des chantiers de construction ou d’entretien d’équipements communs. Se dispenser du tequío revient à se mettre hors de la communauté, et nombres d’indigènes émigrés aux USA prennent soin de revenir une fois par an participer au tequío ou, à défaut, d’envoyer de l’argent à la communauté pour contribuer à ses charges. La gozona désigne un échange réciproque de journées de travail entre membres d’une même communauté. La guelaguetza recouvre de façon plus large la sphère des échanges. Dans ce concept se fondent les notions d’aide mutuelle, de service réciproque, de don appellant inévitablement un don de retour.

Le mot guelaguetza serait la castillanisation du mot zapotèque composé Guenda (action) Lizaa (fraternité) qui désignait la réunion de la communauté adressant une offrande aux divinités tutélaires de la pluie et du maïs. Il s’appliquait aussi à l’aide mutuelle au sein de la communauté
et entre communautés, la réciprocité des relations sociales revêtant un caractère sacré tout comme celle des relations avec les forces suprasensibles. Mais si le mot vient de la langue zapotèque, le concept de guelaguetza se retrouve chez tous les peuples indigènes oaxaqueños.

La guelaguetza, actuellement, est une forme de solidarité et de coopération qui se manifeste en certaines occasions importantes (naissances, mariages, enterrements etc.). L’obligation du don de retour qu’appelle le don initial est toujours scrupuleusement observée. Ce concept s’étend à la mayordomía : le mayordomo est le chef d’une confrérie qui, durant l’année de son mandat, a la responsabilité d’organiser la fête du saint patron de la famille, du quartier ou du pueblo. Cette pratique rétablit un certain équilibre matériel à l’intérieur des communautés, ralentit le processus de distinction sociale qui est lourd de menace pour l’existence du commun : le mayordomo se trouve généralement disposer de quelques ressources, qu’il doit précisément dépenser dans la fête.

Enfin, le caractère éducatif de la guelaguetza est fondamental. La pratique de la guelaguetza forme les individus nés et grandis dans les communautés à concevoir toute la vie sociale comme un système d’échanges réciproques sans fin dont on ne peut s’isoler sans perdre sa propre dignité individuelle.

Mais la tradition rencontre toujours l’histoire. En 1932, pour fêter le quatrième centenaire de l’élévation de Oaxaca au rang de ciudad, et alors que le sud du Mexique se remettait difficilement d’un tremblement de terre dévastateur, le gouverneur de l’État d’Oaxaca, Chico Lopez, décida de
créer un événement dans la capitale, en vue de rendre hommage aux cultures et traditions indigènes oaxaqueñas. Ces peuples indigènes de l’État d’Oaxaca avaient et ont encore une longue tradition de révolte et d’insubordination et, de la difficulté à les gouverner, est née sans doute l’idée d’instituer un espace de représentation qui intègre leurs cultures – c’est-à-dire qui en neutralise l’altérité en les transportant hors-sol. Ce festival de la culture indigène prit le nom de Guelaguetza, se présentant comme un événement qui ré-affirmerait la fraternité et la solidarité des peuples indigènes de l’État d’Oaxaca, où les communautés offriraient, outre des danses et des musiques, les produits agricoles et
artisanaux de leurs régions respectives.

Par ailleurs, une fête traditionnelle se déroulait chaque été, le 16 juillet, sur une colline, un cerro surplombant la ville. En leur temps les envahisseurs aztèques avaient installé en ce lieu une garnison pour veiller sur la cité de Huaxyacac (aujourd’hui Oaxaca), fondée par eux en 1495. Chaque été, cet endroit ombragé et fleuri accueillait aussi les actions de grâce rendues aux divinités aztèques de l’eau et du maïs, Xilonen et Centeótl, du 24 juin au 15 juillet, et à Huitzilpochtli, divinité de la guerre, du 16 juillet au 4 août. À la fois place militaire et lieu cérémonial, le Cerro del Fortin constitue donc depuis longtemps un emplacement stratégique. L’Église vint l’occuper en érigeant en 1700 un
couvent de carmélites. La mascarade populaire qui se déroulait toujours à la date du 16 juillet, persistance des anciens rituels, vint alors se greffer sur la dévotion à la Virgen del Carmel.

À partir de 1953 la Guelaguetza allait prendre plus d’ampleur en étant amalgamée aux festivités du 16 juillet. Une sorte de syncrétisme décidé par en-haut… Pour beaucoup de gens, le mot Guelaguetza ne désignerait plus qu’un événement d’État, financé par l’argent public. Mais participer à cette représentation qui valait reconnaissance officielle était souvent considéré comme un honneur, du côté indigène, et les groupes invités avaient à cœur de travailler leur prestation. D’autant plus quand ils furent payés pour cela…

En invitant dans la capitale les peuples indigènes à réaliser une guelaguetza, le gouverneur de 1932 avait mené une opération stratégique : l’offrande rituelle était déplacée de son espace communautaire pour s’adresser à la population, alors encore très mestiza et conservatrice, de la capitale, et plus encore aux autorités de l’État. L’opération procédait bien sûr d’un regard très paternaliste sur ces cultures indigènes, vues avec condescendance comme une sorte d’exotisme intérieur.

Ancienne ville coloniale, Oaxaca n’accueillait les indigènes qu’aux marges, et ignorait ces pratiques d’échanges propres aux communautés. Quand le gouverneur décida d’inviter ces dernières à une représentation de la guelaguetza, il les invita en réalité à faire une offrande aux élites de l’État ; à leur offrir en spectacle les danses, les musiques, les légendes et les costumes traditionnels du Oaxaca profond. Effectuant leur performance, les danseurs et musiciens procédaient à une compilation in
vivo des cultures indigènes, exécutant toute la journée jarabes, sones, fandangos, chilenas, etc. L’unité de l’État, ébranlée par le séisme de 1931, se trouvait ainsi réaffirmée à travers le spectacle de sa diversité culturelle – sauf que les gens de la capitale n’avaient rien à offrir en retour… que la reconnaissance officielle.

Dans la guelaguetza indigène, la reconnaissance est fondée sur le caractère réciproque de l’offrande. Le don initial engage qui le reçoit  : et le respect de cet engagement établit la reconnaissance. Dans la
Guelaguetza gouvernementale, l’offrande n’appelle plus aucun don de retour : elle est purement représentée, elle n’est pas offrande à un autre mais à la foule anonyme des citoyens oaxaqueños invitée par l’instance suprême, le gouverneur. La relation est brisée par la représentation. Et celle-ci ne se contente pas de transformer l’échange réel en échange symbolique. Elle en détruit la dynamique. Le prestige que chacun obtient dans la guelaguetza, accaparé par le pouvoir invitant, devient unilatéral. Il rejaillit bien sur chaque groupe de participants venu exhiber ses danses et ses costumes mais dans la même logique : le prestige général de tel peuple indigène envoyant ses meilleurs musiciens et danseurs à la fête, remplace le prestige particulier de qui participe généreusement aux échanges et aux travaux de la communauté.

L’événement rencontra un succès durable auprès d’un public croissant – non plus les seuls habitants de Oaxaca mais aussi ceux des régions environnantes, dont beaucoup venaient assister leurs parents, voisins ou amis qui se succédaient sur la scène. Ensuite le tourisme culturel prit son essor non seulement vers l’antique site zapotèque de Monte Alban, sur un sommet aux environs immédiats de la capitale, mais vers la ville elle-même, classée comme Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Tout ceci incita les autorités à construire un site spécialement prévu pour cette représentation. En 1974 entra en fonction l’Auditorio de la Guelaguetza, construit sur la colline du Fortin, où se déroulaient les festivités populaires du 16 juillet ; ce lieu de spectacle en extérieur qui imite les antiques théâtres grecs peut recevoir près de 12 000 personnes. Dès lors il fallut payer pour entrer et assister à un événement dont le nom indique pourtant un système d’échanges réciproques ignorant l’argent.

La Coordinación General de Turismo y Fomento Económico de Oaxaca assure l’organisation et la promotion de l’événement. Le public se répartit actuellement entre touristes, mexicains et étrangers, et locaux affiliés à la clientèle du gouvernement PRI – la distribution de tickets d’entrée à la Guelaguetza contribuant à entretenir les bonnes relations entre les élus et leurs clients. Les billets d’entrée constituent aussi une marque de prestige, qui touche d’abord l’élu qui les distribue et ensuite ses affidés qui les reçoivent. De leur côté, les hôteliers locaux, qui avaient contribué à cette évolution, ajoutèrent la Guelaguetza à la liste des arguments promotionnels ; actuellement, les tours operators proposent un pack comprenant, outre le billet d’avion, la chambre d’hôtel et l’excursion à Monte Alban, le billet d’entrée à la grande journée de la Guelaguetza, el Lunes del Cerro. Plusieurs hôtels et bars musicaux de Oaxaca proposent aussi en soirée un spectacle avec une troupe de la
Guelaguetza, durant ces deux semaines autour du Lunes del Cerro qui voient régulièrement le Zocalo traversé par le défilé de quelque groupe folklorique indigène, et où la ville connaît effectivement une affluence touristique supérieure. Une série d’animations vient compléter ce dispositif : conférences, tables rondes, foire du mezcal, spectacles théâtraux, projections de films, expositions, bref tout pour que le touriste n’ait pas le temps de ressentir cet ennui qui le guette partout où il va.

Les festivités de la Guelaguetza durent plusieurs jours. Dans un premier temps, des groupes exécutent à plusieurs reprises, sur la Plaza de la Danza située en ville, le Bani Stui Gulal. Ce spectacle se présente comme un récit dramatique de l’histoire d’Oaxaca : « …es una manifestación folklórica que, a través de espectáculos coreográficos, narran el origen y la transformación de nuestras fiestas, la Guelaguetza… » explique le site officiel. L’origine et la transformation… ira-t-elle jusqu’à évoquer les événements de 2006 et l’apparition d’une Guelaguetza alternative ? On a quelques raisons d’en douter…

Le grand spectacle du Lunes del Cerro est précédé, le samedi par le convite : les groupes folkloriques indigènes, partis du parvis de Santo Domingo, défilent dans la ville en musique, tirant des cohetes, invitant le spectateur à danser et offrant de menus cadeaux. Le dimanche est le jour de la calenda, autre défilé donnant lieu à des offrandes de boissons, à la danse du torito, et aux feux d’artifice. Ce jour-là sur l’Alameda, qui jouxte le Zocalo, une sorte de concours désigne, parmi les jeunes filles indigènes participant au défilé, celle qui va incarner Centeótl et à ce titre présidera le Lunes del Cerro en compagnie des autorités gouvernementales.

Le lundi – le fameux Lunes del Cerro – les différents groupes se succèdent sur la scène, revêtus des costumes des jours de fête, avec leurs musiciens, pour présenter leurs danses au public. Chaque intervention est annoncée par un court récit légendaire, parfois développé, outre en castillan, en langue indigène. La journée du lundi se poursuit par la représentation de la légende de Donaji y Nucano (ou comment l’amour impossible d’une princesse zapotèque et d’un prince mixtèque réussit à ramener la paix entre les peuples), exécutée par le Ballet Folklórico de Oaxaca. La soirée se termine immanquablement par la Danza de la Pluma, inspirée des récits légendaires sur la chute de l’empire aztèque, et enfin l’orchestre interprète Dios nunca muere, l’hymne national oaxaqueño.

(à suivre)

A.DELL’UMBRIA,
Marseille, septembre/octobre 2009.

Envoyé pour le Comité de Solidarité aux Peuples de Chiapas en Lutte (CSPCL)

 
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