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A un an du soulèvement populaire, la colère continue à Oaxaca Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
14-06-2007

Pagina/12 est retourné dans la capitale de l'Etat d'Oaxaca, où s'est levée une lutte sociale spontanée qui a duré plus de six mois et a été réprimée par l'appareil du PRI. L'Assemblée Populaire des Peuples d'Oaxaca (APPO) est fragmentée et Ulises Ruiz Ortiz continue d'occuper le poste de gouverneur.

Le lieu de rencontre se trouvait dans la colonie Santa Lucia, à deux pâtés de maison de ce qui se connaît comme la barricade Calicanto, endroit qui est passé dans les pages de l'histoire d'Oaxaca après l'assassinat du journaliste étasunien Brad Will. Les slogans sur les murs, des maintenant peu nombreux qui se trouvent dans la ville, le  confirmaient : "La résistance continue avec  Bradley", "Oaxaca de Juárez est avec l'APPO (Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca)", "vive la lutte populaire". Cependant, ces grafittis ne reflètaient pas les précautions qui se percevaient : une série de questions avant d'ouvrir les portes, des conversations à voix basse et le regard attentif montraient l'état d'esprit qui ces jours accompagnaient les activistes de la CIPO, Coordination Indigène des Peuples d'Oaxaca, avec son siège dans ce lieu. L'entretien avait commencé depuis à peine quelques minutes quand tout à coup il a été interrompu par la voix d'une "compa" : "Miguel, c'est urgent, la police est à nouveau à la porte de la maison de Luz, mais cette fois l'auto n'a pas de plaques et ils sont en civil. Elle a très peur".

Ce sont les arièrre-goûts de ce qui a été une lutte populaire d'une grandeur extraordinaire, qui a duré plus de six mois et qui, retranchée, continue actuellement. Tout un Etat soulevé contre son gouverneur, Ulises Ruiz Ortiz (URO), et le Parti  Révolutionnaire Institutionnel (PRI) qui le soutient. Aujourd'hui, à un an du 14 juin, jour du début de l'insurrection avec l'expulsion manquée du campement de professeurs de la place centrale (Zocalo) de la ville, le harcèlement que subit Luz est une des expressions les plus quotidiennes : "Ils viennent toutes les semaines, restent une paire d'heures, prennent des photographies, font comme s'ils lisaient le journal et ensuite ils partent. C'est la première fois qu'ils se gare en face de ma maison. Ils me cherchent en raison de  ma participation dans la barricade de Cinco Señores (la dernière à tomber et l'un des bastions les plus intransigeants du mouvement) et pour avoir été, depuis le début, soutenu la lutte", commentait-elle, nerveuse mais sûre d'elle, tandis que sa mère balayait la cour et que son fils courraient dans les couloirs. Les policiers sont partis, après la menace, après avoir pris des photographies, de "nous casser l'appareil photo".

La Commission Civile Internationale d'Observation des Droits humains (Cciodh) a documenté après sa cinquième visite au Mexique que, à Oaxaca, "il existe une stratégie juridique, policière et militaire ... dont le dernier but est d'obtenir le contrôle et d'effrayer la population civile". Effectivement, ce type d'actions s'insère, comme le commentait à Página/12 Isaac Torres, avocat de la Ligue Mexicaine pour la Défense des Droits Humains (Limeddh), "dans un processus de répression conjointe depuis la sphère étatique et fédérale qui commence avec l'arrivée de la Police Fédérale Préventive (PFP) le 29 octobre et qui inclut au moins 23 morts, autour de 20 arrestations arbitraires actuellement, des abus d'autorité, une infinité de violations des droits humains et des garanties individuelles, des harcèlements et des menaces, entre autres".

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Ceci explique en partie qu'il reste peu de traces, surtout pour le visiteur distrait, de la "prise de la ville". Aujourd'hui dans les rues coloniales le tourisme recommence à fleurir et l'image de paix se maintient avec d'évidentes opérations policieres en civil et des grosses taches noires sur les murs des édifices historiques sur lesquels survivent quelques rebelles slogans peints ; "Ici nous sommes des "pinches" bourgeois" est une des plus significatives.

De la même manière, l'APPO, le "mouvement des mouvements" qui est né en soutien aux revendications enseignantes de la section 22 de la Coordination Nationale des Travailleurs de l'Education et qui a finit par dépasser ses demandes et ses pratiques politiques, ne compte maintenant plus sur une capacité de mobilisation de centaines de milliers de personnes (certains parlent de millions) et est enveloppée dans d'innombrables débats difficiles de résoudre.

"Quand un mouvement est réprimé, aplati, il se réduit et commencent les récriminations; le fameux problème des divisions de la gauche. À ce contexte s'ajoutent les élections d'août pour le renouvellement du Congrès local qui, bien sûr, ont généré de plus grandes dissidences", assurait Victor Raul Martinez Vazquez, sociologue et auteur d'Autoritarisme, mouvement populaire et crise politique. Oaxaca 2006. Le dilemme sur la participation à ces élections a été, sans aucun doute, un des sujets centraux de débat et ce qui explique une grande partie de la fragmentation que le mouvement vit aujourd'hui.

C'est que devant l'échec de l'instance insurrectionnelle, aujourd'hui les stratégies qui s'ouverts sont nombreuses. Comme le signale Gustavo Esteba dans son article "APPOlogia", sont au nombre de trois les alternatives qui se présentaient : la démocratie formelle (des partis politiques de gauche comme le Frente Popular Revolucionario qui avancaient l'idée que l'APPO présentent des candidats), la démocratie participative (surtout des secteurs de la société civile ou des ONGs qui insitent sur des mécanismes légaux et institutionnels comme le référendum et la consultation citoyenne) et la démocratie radicale (surtout impulsée par des secteurs autonomistes pour revenir de fait à la loi des "usages et de coutumes" qui permet à 418 de 512 municipalités dans l'Etat d'Oaxaca de s'administrer par assemblées communautaires). 

Tous, auparavant unis par la revendication du départ  d'Ulises Ruiz, aujourd'hui ne trouvent pas d'espaces de consensus, ce qui s'est révélé dans la 2è assemblée étatique de l'APPO le 2 juin de cette année; "en raison d'une diversité d'idéologies, nous avons une crise de fonctionnement", disaient-ils dans une intervention. "C'est que cette consigne n'a plus la même force, il n'existe plus la certitude qu'il va tomber la semaine prochaine", commentait Eduardo Almeida, participante de l'assemblée. Cette idée s'est écroulée au moment où est devenu évident le pacte du PRI avec le Parti d'Action Nationale (PAN) du président Felipe Calderon, le besoin des deux partis de maintenir en place le gouverneur. Le premier pour prendre soin de ses espaces à un moment de repli après plus de 70 ans de contrôle absolu de l'Etat; le second pour la nécessité de montrer une gouvernabilité sur l'instable scène nationale marquée par les dénonciations de fraude dans les élections présidentielles de juillet 2006.

"Les maîtres ne s'imaginaient pas de ce qu'allait déclencher le 'Ya cayo, ya cayo, Ulises ya cayo' (il est tombé, Ulises est tombé), la consigne après l'expulsion du 14 juin. Cette phrase est celle qui obtient l'immédiate et massive articulation des organisations sociales qui étaient isolées comme conséquence de la politique de main dure d'URO. Ainsi s'est formée l'APPO, en demande de son départ. On y trouvait des syndicalistes, des paysans, des indigènes, des stalinistes, des maoïstes, des gens de Lopez Obrador (le leader du Parti de la Révolution Démocratique, PRD), des trotskistes, des autonomistes adhérents à "l'Autre Campagne" zapatiste. Ce qu'il y eu alors a été une grande masse demandant la démission, ceci est ce qu'unissait, non une ligne  idéologique déterminée", affirmait Yesica Sanchez Maya, directrice de Limeddh. En parallèle, bien sûr, chacun avait une interprétation sur le processus : une révolution sociale, une révolte, une rebellion, des assimilations à la Commune de Paris, au soulèvement  zapatiste de 1994, aux soviets russes. Aujourd'hui ce sont ces interprétations qui sont en dispute. Cependant, ces discussions sont celles qui  caractérisent le Conseil de l'APPO, aujourd'hui scindé  des bases. Dans celles-ci, les perspectives et les lectures sont autres : "Beaucoup d'entre nous avons participé sans rien gagner, comme société civile, parce que nous en avions assez des dirigeants. La lutte et la résistance ont été très bonnes parce qu'elles nous ont apporté beaucoup de connaissances. Maintenant il faut passer à une autre instance, celle de la construction. S'il Ulises veut rester en place, "on s'en fout", qu'il continue à parler tout seul comme un fou, maintenant personne ne le respecte. déjà personne ne le respecte. Pendant ce temps les gens dans les bases ont beaucoup d'envies de travailler, de faire des choses", commentait Viviana, étudiante en Droit et participante de ce qui a été la barricade de Calicanto. Martinez Vasquez est d'accord : "Bien que frappé et désorganisé, le mouvement continue. Ses banderoles existent dans l'ingouvernabilité, dans les organisations sociales, dans les activités des colonies. Il va devoir y avoir des changements, si non la normalité ne va jamais revenir".

 

Oaxaca,  Lucia Alvarez et Diego Gonzalez, Pagina/12 (Argentine), 12 juin 2007. Traduction: http://amerikenlutte.free.fr

 
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