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Argentine: « l’année du bicentenaire, je veux ma liberté syndicale » Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
29-05-2010
L’Argentine fête en 2010 les deux cent ans d’une révolution libérale qui l’a débarrassée de la couronne espagnole. Pour autant, 200 ans plus tard, tous les secteurs de la société argentine ne sont pas libres, loin s’en faut.
Avortement, homosexualité, réforme agraire, droit des indigènes… Parmi cette litanie de revendications dont la lettre reste morte, il faut relever aussi le carcan syndical dont souffrent les travailleuses et travailleurs argentin-e-s depuis plus de soixante ans : largement inspiré par la carta del lavoro mussolinienne et imposé par Juan Domingo Perón dans les années 40. Après avoir coopté la CGT argentine (créée, elle, en septembre 1930) l’administration Perón va la transformer en véritable arme de guerre idéologique en la rendant « consubstantielle de l’Etat » pendant le temps de sa première présidence (jusqu’en 1955) et en la dotant de la personería gremial -ou représentativité syndicale. Seul un syndicat par entreprise peut en bénéficier et une fois obtenue, cette représentativité donne droit au prélèvement automatique « à la source » des cotisations syndicales (système du check off) reversées, entre autres, aux œuvres sociales des fédérations.

Parfaite semence corruptrice, on l’aura vite compris.

Par contre, si seule cette représentativité permet de jouir de ces privilèges, plusieurs syndicats peuvent bénéficier d’une « inscription syndicale », leur laissant l’opportunité d’organiser des assemblées générales sur les lieux de travail sans craindre l’intervention des forces de l’ordre.

Combattre cette mécanique à deux temps reste donc un enjeu important pour le monde syndical argentin ne serait-ce que pour refuser de reverser ses cotisations à la bureaucratie de toujours. Il ne fut pas rare, dans les années 70, de voir des « corps de délégués » dits combatifs justement s’opposer à une bureaucratie honnie (1) et tenter d’impulser des dynamiques locales, par section syndicale, sachant pertinemment l’inutilité de tenter de mobiliser leurs directions (cupulas). Cette figure du corps de délégué -qui découle directement de la longue culture libertaire du pays- reste toujours aussi pertinente et d’actualité.

Il n’y a donc rien d’anormal à voir les anarchistes de la FORA d’aujourd’hui ouvrir leurs colonnes aux travailleurs du métro de Buenos Aires dont la pratique, horizontale et assembléeiste présente tout de même des bases de travail plus qu’honnêtes pour les acrates.

Habitués des coups d’éclats, les subtes (2)  obtinrent en 2004, les six heures de travail quotidien. Certes, il s’agit d’une tardive victoire pour qui veut bien se rappeler que cette revendication remonte au début du 20ème siècle. Cependant, depuis cette lutte victorieuse, les subtes sont écoutés et bénéficient d’une aura très particulière au sein de la classe ouvrière argentine. Car, loin de se reposer sur leurs lauriers, cette expérience fit l’objet d’une tentative de mutualisation à travers la campagne (malheureuse) en faveur des six heures de travail de l’année 2004. Puis, les subtes se lancèrent dans l’également courte -mais forte- aventure du Mouvement intersyndical classiste (MIC), qui pâti d’un démarrage trop rapide. Enfin, l’année dernière, les subtes décidèrent de lancer une consultation interne afin de constituer un nouveau syndicat et se soustraire à l’influence de leur ancienne centrale d’appartenance : l'Unión Tranviarios Automotor de la CGT (UTA-CGT).

Cette dernière proposition fut acceptée par 98% des votants (soit 80% des inscrits). Score dont on pourrait s’offusquer du stalinisme apparent si la proposition ne visait justement à démonter une organisation intrinsèquement verticaliste et « verrouillante » (3) .

Cette victoire va se concrétiser peu de temps après avec la création de l’Association Syndicale des Travailleurs du Subte et Premetro (AGTSyP) qui poursuit sa lutte pour l’amélioration du service du métro, parfois avec beaucoup de difficultés -dont des pressions physiques sur les délégués (4). Un des délégués des subtes, Andrés Fonte, représentant de l’atelier de la gare de Constitución (ligne C) revient sur les derniers évènements et les perspectives pour les travailleurs du Subte dans le numéro de mai du journal de la FORA : Organización Obrera, dont nous reproduisons ci-dessous de larges extraits.

Paix Sociale ?

La lutte des travailleurs du Subte continue. L’accord qu’a signé l’AGTSyP avec le Ministère du Travail en novembre 2009 lui concède une forme de « tutelle syndicale » pendant un an. Mais, « signer cet accord ne revient pas à signer la paix sociale » affirme Andrés Fonte.

« Nous bénéficions de la paix sociale pour tout ce qui touche au syndicat, mais pas sur le reste » ajoute t’il. Il se réfère ici aux mesures que le syndicat peut décider de prendre contre la direction patronale concernant les conditions de travail. Pourtant, cet accord représente une reconnaissance de facto du syndicat bien que, depuis novembre 2009 et les premières démarches pour obtenir « l’inscription syndicale », le ministère n’a rien fait dans ce sens qui soit favorable à l’AGTSyP.

De toutes façons, ainsi que l’affirme Alejandro Belkin des Ateliers d’Etudes du Travail (5), cet accord revient à considérer que l’AGTSyP n’est un syndicat que pour une année. « Tous les bénéfices obtenus grâce à cet accord ne peuvent en réalité s’appliquer qu’à une association syndicale bénéficiant de la représentativité. » Pour autant, l’un de ses aspects les plus remarquables concerne le décompte compulsif que subissent les travailleurs : ils n’auront désormais plus à reverser obligatoirement 1% de leur salaire à l’UTA.
(…)

Non à la judiciarisation des revendications syndicales.

C’est une des consignes des délégués du métro.

Fonte révèle que l’entreprise Metrovías (6)  exerce une forme de pression psychologique en jouant l’usure contre les compagnons les plus combatifs, via la multiplication des procès. C’est le cas de Néstor Segovia, -également délégué de l’atelier de Constitución-  accusé, entre autres choses, de sabotage et de menaces. De telles manœuvres systématiques ne seraient pas possible sans la complicité de l’Exécutif :

« on, voit, de cette manière comment peu à peu ils cassent des compagnons qui pourtant ont joué des rôles historiques. On peut rappeler le cas d’El perro Santillán (syndicaliste de l’Association des Travailleurs de l’Etat surnommé « le chien ») qui fut un paradigme de la lutte des années 90. Ils l’ont lapidé à coups de procès. Ils attaquent si souvent en justice que, parfois, tu ne sais même pas si tu peux sortir dans la rue tranquillement sans risquer la prison. Mais nous savons pourquoi nous luttons. Ce que je dis toujours aux compagnons : chaque fois qu’ils t’envoient une convocation par télégramme, encadre-la pour la montrer à tes enfants. C’est une manière de prouver que tu es fort et que tu n’as pas peur d’eux. »

Les assemblées au pouvoir.

Fonte continue en expliquant que la lutte des subtes cherche à améliorer la vie, au-delà des questions d’argent. Durant la lutte pour les six heures, on expliquait aux compagnons que ces deux heures pouvaient servir pour étudier, pour le loisir, pour vivre, pour faire ce qu’ils voulaient. « Tout ça, ça a renforcé la conscience des compagnons. Surtout, au moment de voir les résultats des examens médicaux : problèmes d’ouïe, de vue, de reins, de poumons, de stress ainsi qu’une quantité de choses de nous sommes encore en train de répertorier. Nous bénéficions d’un privilège rare : dans notre profession, il n’y a aucun retraité dépassant les cinq ans car ils partent tous du fait de problèmes pulmonaires. Nous revendiquons le fait que les gens vivent mieux et il a beaucoup à faire. »

Mais, selon le délégué, l’un des points essentiel qui permit l’obtention d’un syndicat autonome de l’UTA et la résistance tout au long de ces années, furent les assemblées et l’information aux bases. « Nous avons aussi une certaine vision de la politique : ce que nous préconisons est l’unité. Le corps des délégués est aujourd’hui très hétérogène, nous sommes plus de 80 délégués. Avec les six heures, nous avons réussit à obtenir un délégué par service. C’est brillant, parce que nous représentons plus de trente personnes chacun. »
(…)

Une autre forme de syndicalisme est possible.

L’AGTSyP s’agrandit via les activités qu’elle développe, au-delà des conflits du travail, telles que des activités culturelles, l’édition de livres, l’animation d’un programme radio et des discussions.

« J’aimerai bien que mon syndicat se lance dans la construction de logements et d’une école ferroviaire. Avant, ce pays pouvait compter sur 70 000 kilomètres de voies, aujourd’hui, il y en a moins de 11 000. Les exportations devraient se faire via le rail. Pourquoi Moyano (7)  s’est-il agrandit ? Parce que tout le transport se fait par camion. L’idée est de créer un centre de formation à La Matanza [une banlieue de Buenos Aires], une école technique avec des professeurs engagés. Nous avons déjà la possibilité de faire passer un bac en un an afin que les compagnons qui ne sont pas passés par le secondaire puisse rattraper le niveau et derrière, obtenir de l’avancement. (…) ».

L’actualité.

« C’est un moment politique passionnant et je crois que des figures ouvrières vont surgir sur le plan politique -que le régime va sans doute tenter de retourner à sa faveur. J’espère que ce pourquoi nous luttons restera toujours une référence. Beaucoup de compagnons sont attentifs à ce que nous faisons et nous devons nous montrer responsables. Nous avons bénéficié d’une bonne structure politique qui nous a fait survivre aux assauts. Mais il faut être intelligent car, dans un conflit ce n’est pas « tuer ou mourir » il faut réfléchir à comment continuer la lutte. Et le seul moyen c’est la participation. En cette année du bicentenaire, que la bouche de tous se remplisse de paroles de libertés, moi, je veux ma liberté syndicale Nous voulons la liberté syndicale qui nous laisse la possibilité d’être et de choisir. Pourquoi pas ? De quoi ont-ils peur ?. »

Notes:
1-  On peut d’ailleurs toujours entendre des slogans du type « on va en finir de la bureaucratie syndicale ! » alors que « l’anti-bureaucratisme » fait toujours largement partie du champs lexical syndical argentin.
2-  Surnom affectueux donné aux travailleurs du métro qui dérive de l’abréviations du mot anglais subway -autrement dit, le métro.
3-  Voir Eduardo Lucita, Une expérience syndicale inédite sur http://www.risal.collectifs.net/spip.php?article2489.
4-  Voire les articles consacrés à ces mouvements sur le site : http://amerikenlutte.free.fr/
5-  Le TEL (pour Taller de Estudios Laborales) est un groupe crée en 1990 dont le but déclaré est de participer à la « tâche collective de construction d’un savoir des travailleurs pour les travailleurs qui soit argumenté et serve de guide et de stimulus pour l’action. » http://www.tel.org.ar .
6-  Principale exploitante du métro de Buenos Aires.
7-  Hugo Moyano, secrétaire général de la CGT-République Argentine (plutôt pro-kirchnériste) et ancien secrétaire général du syndicat des camionneurs. Aujourd’hui, c’est son fils qui est en charge de cette dernière centrale.

Propos rapportés par Luciana pour le numéro de mai-juin d’ Organización Obrera. (an 9, numéro 29). A télécharger sur le site : http://fora-ait.com.ar/blog

sur les Subtes, consulter la rubrique Argentine/travailleurs du site http://amerikenlutte.free.fr

traduction/présentation : guillaume de gracia.
 
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