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Communiqué de la Brigade européenne de solidarité avec les zapatistes Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
03-08-2010

Dans notre caminar preguntando (avancer en questionnant) des collectifs européens participant au réseau de solidarité avec les zapatistes, nous avons proposé de former une brigade pour affirmer notre soutien à leur projet de construction de l’autonomie, pour dénoncer les politiques de contre-insurrection des mauvais gouvernements qui tentent de le détruire et pour faire connaître ces réalités dans nos villages, nos quartiers, nos luttes. Il s’agit de continuer à construire la rencontre de nos rebellions, en échangeant des expériences grâce à une relation directe de solidarité et de compañerismo [1].

Aux compañeras et aux compañeros bases d’appui zapatistes,
Aux compañeras et aux compañeros des Conseils de bon gouvernement,
Aux compañeras et aux compañeros de l’EZLN,
Aux compañeras et aux compañeros de l’Autre Campagne,
Aux compañeras et aux compañeros de la Sexta internationale,
Aux peuples du monde en lutte,
À la société civile nationale et internationale

Construction de l’autonomie

Sur notre chemin, nous avons vu et partagé les solides et importantes avancées qui sont les fruits de la lutte zapatiste. Renonçant à « hégémoniser » et homogénéiser la société, les zapatistes ont su convertir la résistance au capitalisme en une école, l’école de leur liberté, à travers la construction de l’autonomie qui se décline entre autres en terme d’organisation politique, de santé, d’éducation, d’agroécologie, de communication, de lutte pour la terre et le territoire et pour les droits des femmes.

Organisation politique

L’espace politique zapatiste s’organise en trois niveaux : la communauté, la commune (MAREZ [2]) et la zone (Conseil de bon gouvernement). Les principes démocratiques sont les assemblées et le mandar obedeciendo (commander en obéissant). Ainsi, c’est le peuple qui gouverne, prenant les décisions et nommant ses autorités en assemblées aux différents niveaux avec un nombre de personnes suffisant pour permettre des rotations dans l’exercice des charges qui ont une durée généralement de trois ans.

Le Conseil de bon gouvernement a comme responsabilité de coordonner ou de contrôler le travail des commissions des différents secteurs qui, à leur tour, appliquent les décisions de la base. Il s’assure aussi de la répartition équitable des ressources financières et matérielles et intervient dans les questions de justice, de terre et de territoire. Les propositions peuvent être faites par les villages comme par les autorités en assemblées. Une commission de vigilance, désignée de la même façon par les assemblées, observe le travail des autorités, garantissant la transparence de leur action.

Toutes les charges sont une responsabilité qui n’implique aucun type de privilège ni de salaire, seulement un devoir envers la communauté. Pour cette raison, beaucoup de charges sont rotatoires.

Santé

Un des domaines les plus importants dans toutes les zones zapatistes est la construction d’un système autonome de santé qui a permis de réduire la mortalité infantile et maternelle. Les systèmes de santé s’organisent depuis les communautés qui nomment leurs promoteurs pour leurs centres de santé et leurs cliniques de la commune autonome et/ou de la zone. Un effort particulier est donné à la médecine traditionnelle à travers la préservation de l’herboristerie, des savoirs des accoucheuses et des hueseras [3] sans écarter la médecine allopathe. En général, une attention particulière est portée au travail de la prévention et de la vaccination.

Par exemple, dans le Caracol de La Realidad, un hôpital général a été créé, avec des consultations d’échographie, un laboratoire d’analyses et la pratique d’opérations chirurgicales. La Clinique de la Femme « Comandanta Ramona », située dans le Caracol de La Garrucha et inaugurée en 2008 est toute une référence pour les droits des femmes. Les promotrices de santé y mettent en pratique le droit à la santé sexuelle et reproductive [4].

Éducation

L’éducation, « obligatoire jusqu’à la vieillesse », est un des axes considérés par les zapatistes comme fondamental pour leur émancipation. L’éducation est un processus duquel l’école fait partie, tout autant que partager et travailler dans la communauté tout au long de la vie. Les communautés nomment leurs promoteurs et promotrices pour mener à bien l’enseignement primaire. Ils se coordonnent au niveau de la commune autonome et/ou de la zone. Le niveau secondaire se développe dans tous les caracoles sous différentes formes.

Nous en avons vu un exemple dans le Caracol de Morelia. Là-bas, les trois degrés du primaire durent le temps nécessaire pour les acquérir. On n’enseigne pas seulement la lecture, l’écriture, les mathématiques, l’histoire, la géographie, la politique et les sciences naturelles mais aussi la culture, la production et les arts. La première génération de l’école secondaire technique achève sa formation cette année et les élèves assumeront des charges dans l’éducation ou d’autres secteurs selon la nécessité de leur communauté et leur volonté.

Femmes

Un an avant le soulèvement de 1993, les zapatistes ont prononcé la Loi révolutionnaire des femmes. Pour beaucoup, ce fut une révolution dans la révolution lorsque les femmes indigènes ont rendu visible leur situation de marginalité et ont réussi à faire reconnaître leurs droits fondamentaux pour l’égalité. Dans toutes les zones autonomes, il existe des collectifs de femmes qui jouent un rôle important pour l’autonomie et le développement de leur auto-émancipation.

Par exemple, dans le Caracol de Roberto Barrios, les femmes nous racontent qu’avant 1994 leur travail n’était pas pris en considération et qu’elles n’avaient pas le droit de participer aux processus collectifs. Maintenant cette situation a changé, les femmes ont des responsabilités dans les Conseils de bon gouvernement, dans les conseils autonomes [au niveau de la commune], dans les domaines de la santé ou de l’éducation.

Dans le Caracol de La Realidad, un membre du Conseil de bon gouvernement a précisé que l’importance de l’égalité entre hommes et femmes s’enseigne maintenant dès les premiers niveaux de l’éducation autonome. Des discussions sont aussi organisées entre les hommes pour qu’ils prennent conscience de cette situation et qu’ils assument également le travail de la maison.

Terre et territoire

« Nous n’avons pas honte parce que nous ne sommes pas en train de voler mais nous sommes en train de travailler la terre. Nous ne cesserons jamais la lutte. » Ainsi a parlé le compañero représentant en charge du balneario [5] El Salvador qui appartient à la communauté d’Agua Clara située dans le Caracol de Morelia. Il a souligné que la terre ne se vend pas, mais qu’elle est pour toutes celles et tous ceux qui la travaillent. Ils ne la gardent pas pour faire des affaires et ils affirment qu’ils n’ont pas besoin d’argent, que ce qu’ils veulent, c’est travailler. Travailler la terre de façon collective, en prendre soin pour leurs enfants et pour que les générations futures puissent en disposer. Le travail qu’ils effectuent est dur, mais malgré cela, les zapatistes nous montrent le visage de la résistance et de la dignité. Leurs mots sur l’importance de la terre et du territoire pour la lutte zapatiste ont résonné dans tous les Caracoles puisque c’est la base fondamentale de l’autonomie.

Agroécologie

« Tout ce que nous prenons de la terre, nous devons le rendre (...). C’est tout le contraire du capitalisme qui exige toujours plus de la terre sans rien lui rendre. » Ainsi, l’autonomie zapatiste se construit sur le principe fondamental et ancestral du soin de la terre et des ressources naturelles comme l’eau, la forêt et les animaux. La souveraineté alimentaire dépend de ces principes de l’agroécologie ainsi que du refus des produits chimiques et de la conservation des semences originelles pour ne pas dépendre des grands producteurs ou d’entreprises multinationales comme Monsanto.

Dans le Caracol d’Oventik, ils nous ont expliqué comment utiliser des produits organiques durables et non chimiques qui provoquent des problèmes de santé de la terre. Ils s’agit donc d’enseigner à tous comment produire sans lui nuire, sans la polluer. En fonction du climat, des coutumes et des priorités des villages, les promoteurs impulsent des travaux différents.

Communication

Un des aspects de la créativité du mouvement zapatiste dans la résistance quotidienne est le travail collectif des radios communautaires et des équipes de vidéastes. La ténacité et l’engagement des promotrices et promoteurs pour diffuser les avancées de la lutte sont fermes et infatigables.

Par exemple, dans le Caracol de Roberto Barrios, la commission de vidéo travaille depuis 1998 et a publié plusieurs documentaires sur des thèmes comme : les témoignages des anciens, la musique traditionnelle, les travaux collectifs et les processus de résistance entre autres. Ces vidéos fonctionnent comme une mémoire politique, culturelle et sociale du mouvement et sont, en plus, des outils efficaces pour diffuser les avancées de la lutte zapatiste dans le territoire autonome et dans le monde entier.

Dans le Caracol de la Realidad, il existe deux radios : Radio Despertar et Radio San Pedro. La première émet quotidiennement et la seconde les fins de semaine. Ces radios veulent jouer un rôle éducatif pour les communautés zapatistes et non zapatistes. Les locutrices et locuteurs tournent sur leur charge et continuent à se former.

Situation actuelle et stratégie de contre-insurrection des mauvais gouvernements

L’ensemble des communautés zapatistes sont confrontées à des agressions tellement identiques qu’on ne peut en conclure qu’à l’existence d’une stratégie globale élaborée au plus haut niveau d’un pouvoir politique étroitement lié aux intérêts d’une économie capitaliste internationale.

Pétrole, bois, eau, plantes médicinales brevetables et richesses minérales, le Chiapas dispose de ressources naturelles qui ne peuvent que susciter les appétits prédateurs des multinationales, de plus en plus d’origine européenne.

Les revendications pour l’autonomie des communautés indigènes et rebelles sont, de ce fait, une épine dans le pied du géant néolibéral. Ainsi, nous assistons dans toutes les zones zapatistes à un scénario qui, à peu de détails près, présente le même schéma.

Dans tout cela, l’action gouvernemental occupe une place centrale. La mise en pratique des programmes fédéraux et étatiques [6] consiste à injecter au Chiapas un flux financier dont l’objectif est de diviser les communautés. À l’exemple de ces paysans et paysannes qui se voient « offrir » un déménagement contre l’abandon de leurs terres. À l’exemple de ces femmes à qui on propose un soutien financier pour la réalisation de projets collectifs en échange de l’abandon de leur participation à l’organisation zapatiste. Jusqu’aux autorités municipales qui mènent une campagne d’incitation à l’enregistrement des terres au tribunal agraire pour transformer l’ejidatario [7] en petit propriétaire susceptible de vendre sa milpa [8].

De plus, là où se trouvent les communautés zapatistes, on voit apparaître tout à coup des micro-structures de santé, des consultations de proximité, on voit aussi s’accélérer la construction d’abduction d’eau, tout type de spéculation sur la précarité sachant que, qui a recours au service de l’État, s’exclut du mouvement.

Mais les mesures institutionnelles étant insuffisantes, l’État compte aussi sur des alliés pour tenter de diviser les communautés. Dans une population profondément religieuse, certaines sectes chrétiennes n’hésitent pas à imputer la misère et la maladie à la volonté divine, à présenter la rébellion comme une offense au créateur.

Le rôle joué par la majorité des médias contribue aussi à la tentative d’isolement du mouvement zapatiste. On lui attribue toute sorte de comportements délictueux. En le criminalisant ainsi, on cherche à l’isoler du soutien populaire.

Si on y ajoute les manœuvres clientélistes des partis politiques, qui, en période électorale, achètent les votes des plus pauvres, nous disposons d’un cadre assez complet de ce que l’on ne peut concevoir autrement que comme une entreprise concertée de déstabilisation.

Mais une politique de contre-insurrection ne pourrait pas être complète sans la tentative d’instaurer un climat de peur. Qui ne cède pas à la tentation, doit vivre sous la menace permanente. Menaces institutionnelles en premier lieu par la présence militaire massive avec des patrouilles quotidiennes dans toute la région.

Il y a aussi les irruptions intempestives des polices dans la zone zapatiste sous le prétexte de chercher des armes ou de la drogue ou d’arbitrer des « conflits intercommunautaires » instrumentalisés. Le corolaire de la criminalisation se trouve aussi dans l’emprisonnement arbitraire qui peut s’abattre à n’importe quel moment sur tous les membres du mouvement comme c’est le cas des quatre compañeros à qui nous avons rendu visite au CERESO 5 [9].

Au-delà des interventions des pouvoirs publics, la partie la plus violente des pressions s’exerce par l’intermédiaire des groupes paramilitaires qui multiplient leurs exactions dans une totale impunité. Ces derniers bénéficient du soutien caché des autorités.

Ce schéma global qui alterne gratification et punition est malheureusement célèbre et s’inscrit dans le programme des écoles militaires étasuniennes et européennes qui ont formé plus d’un militaire mexicain mais aussi de toute l’Amérique latine.

La tentative de réduire le mouvement zapatiste répond donc à deux objectifs essentiels du pouvoir : le contrôle de la population à travers les « villes rurales durables » [10] et concrétiser la privatisation de la terre pour le bénéfice des investissements multinationaux dans les sphères de « l’écotourisme » et de l’exploitation des ressources naturelles conformément au programme néolibéral qui caractérise l’ALENA, le projet Mésoamérique (avant Plan Puebla-Panamá) et l’Initiative Mérida [11].

Construisant des liens

Pendant le temps partagé avec les compañeras et les compañeros des cinq Caracoles, nous avons constaté beaucoup d’avancées dans la construction de l’autonomie dans toutes ses domaines, malgré la situation de répression généralisée dont souffrent les communautés indigènes rebelles. Les zapatistes s’organisent et luttent sur la base de leur culture et de ses principes pour combattre l’avancée du néolibéralisme sur leur territoire.

Dans cette lutte, les zapatistes ne sont pas seul-e-s. Tout au long de ces années, s’est construit un réseau de solidarité avec les communautés zapatistes dont fait partie cette brigade européenne. Depuis 1994 jusqu’à aujourd’hui, nous avons partagé et nous continuerons à partager des rencontres, des paroles, des lectures du monde et des luttes dont l’objectif est de construire un mundo donde quepan muchos mundos (un monde qui contient beaucoup de mondes). Parce que pour nous, il n’existe pas d’hommes, de femmes ni de droits superflus.

Dans ce cheminement vers un monde juste et solidaire, l’exemple combatif, l’esprit critique au modèle capitaliste et les pas déterminés dans la construction de l’autonomie des zapatistes sont présents, d’une manière ou d’une autre, dans plusieurs de nos luttes en Europe. Le regard tourné dans la même direction nous unit : en finir avec le modèle capitaliste - néolibéral et ses mauvais gouvernements dont les conséquences seraient la fin de l’humanité et de la nature à travers la répression, la spoliation, l’exploitation, le mépris et la mort.

Nous unissent aussi la volonté et la nécessité de construire, à travers nos rébellions, ce monde qui grandit déjà dans la pratique, comme nous l’ont fait connaître les plus dignes de cette terre.

Nous partons donc avec la parole, la détermination, la dignité et la rage de la lutte des compañeras et des compañeros zapatistes pour partager dans nos recoins européens d’autres mondes pour la liberté, la justice, la démocratie et l’autonomie.

Nous remercions les zapatistes pour leur compañerismo, leur hospitalité et pour partager leur lutte et leur parole et nous leur envoyons un grand abrazo [12] Nous remercions aussi le Centre des droits de l’homme Fray Bartolomé de las Casas pour son soutien et ses conseils.

À San Cristobal de las Casas, Chiapas, Mexique.

Le 16 juillet 2010

Brigade européenne de solidarité avec les zapatistes.

[1] Compañerismo : relation entre les compañeras et les compañeros de confiance et d’engagement (toutes les notes sont du cspcl).

[2] MAREZ : Municipio Autónomo Rebelde Zaptista : Commune autonome rebelle zapatiste.

[3] Huesera : pratique traditionnelle qui se rapproche en partie de la kinésithérapie et de l’ostéopathie.

[4] Voir le vidéo-entretien (en espagnol)

[5] Balneario : bains. Dans le cas d’Agua Clara, c’est une rive aménagée du fleuve avec une zone de baignade, de pique-nique et un petit hôtel.

[6] Fédération et États : le Mexique est une fédération composée de 31 États et un district fédéral (México) qui ont à leur tête des gouverneurs.

[7] Ejidatario : membre de l’ejido qui est une propriété collective de la terre dont les membres ont l’usufruit pour la cultiver mais qui ne peut être ni vendue ni cédée, héritage de la réforme agraire après la révolution mexicaine.

[8] Milpa  : champ de maïs, base de l’agriculture de subsistance au Mexique.

[9] CERESO : Centro de Rehabilitación Social. Nom ironiquement donné aux prisons mexicaines pour les personnes accusées ou condamnées pour des délits fédéraux et de droit commun.

[10] Villes rurales durables : nom donné par le gouvernement du Chiapas à des villes créées de toutes pièces reprenant l’idée du « développement durable » et destinées à regrouper les populations rurales dispersées. Voir plusieurs articles de Hermann Bellinghausen : http://cspcl.ouvaton.org/article.php3 ?id_article=714.

[11] Plans :
- ALENA : Accord de libre échange nord-américains qui regroupe les États-Unis, le Canada et le Mexique depuis 1994.
- Projet Mésoamérique : dans la droite ligne du Plan Puebla-Panama, ce projet relancé en 2008 vise à « intégrer la zone dans le marché mondial ». Il se traduit par des projets de construction d’autoroute, de voies ferrées, oléoducs, gazoducs, barrages hydroélectriques, usines. Plus d’infos : http://cspcl.ouvaton.org/article.php3 ?id_article=143.
- Initiative Mérida (juin 2008) est un projet de coopération entre les gouvernements états-uniens et mexicains (ainsi que plusieurs gouvernements d’Amérique centrale) dont l’objectif affiché est de lutter contre le trafic de drogue à destination des États-Unis. Il se traduit par une assistance des États-Unis en terme financier, d’entrainement et de renseignement et une intervention accrue des États-Unis dans la région.

[12] Abrazo : l’accolade mexicaine, forme de salut chaleureux. 

http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=758

 

 
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