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La jeunesse latino-américaine en lutte pour la souveraineté alimentaire Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
04-11-2011
11e campement de jeunes latino-américains, Ojo de Agua, Argentine

 “¡Alerta, alerta, alerta que camina, la lucha campesina por América latina ¡”[1]. Le choeur des slogans traverse le bourg d’Ojo de Agua, province de Santiago del Estero, centre de l’Argentine. Ce mercredi 12 octobre, jour symbolique pour l’Amérique latine, en particulier pour les organisations de peuples originaires[2], des jeunes de tout le continent entrent dans la ville en trois files colorées, dansantes et bruyantes.

Presque aussi nombreux que les habitants du bourg, ils viennent signifier leur rejet de l’accaparement des terres paysannes (et de l’eau qui leur correspond) par la monoculture du soja et l’exploitation minière. Ils vienne nt aussi en soutien à la lutte locale contre l’établissement d’une mine à ciel ouvert sur la commune de Sumampa, dans une région où l’exploitation minière est déjà la cause de dégradations sociales et environnementales préoccupantes (exode rural forcé, épuisement des ressources en eau, dégradation des sols…). Depuis un an, la canadienne Gaya Energy s’est vue octroyer un permis d’exploration pour ce projet, qui reçoit le soutien de politiciens locaux, de l’institution ecclésiastique locale, et de fonctionnaires – corrompus. Au-delà des conséquences environnementales qu’implique une mine à ciel ouvert, de nombreuses familles de paysans sont menacées d’être expulsées de leur terre.Ces jeunes avec tous leurs drapeaux, chantant leur rejet de l’accaparemment des terres et la globalisation des luttes paysannes, ne sont pas réunis seulement pour la manifestation. Ils viennent de partager une semaine de camp autour de la thématique centrale de la souveraineté alimentaire : le “XIe campement de jeunes latino-américains”. Organisé depuis 2001 par le MNCI (mouvement national paysan et indigène d’Argentine), le campement de jeunes réunit chaque année des mouvements sociaux des différentes provinces d’Argentine et de pays voisins, principalement ruraux mais aussi urbains. Cette année, pour la première fois, le campement a été coordonné par les jeunes de la CLOC (coordination latinoaméricaine des organisations paysannes), signe de l’internationalisation croissante des luttes paysannes et indigènes en Amérique latine. Parmi les participants on croise les jeunes du MST (mouvement des sans-terre) et du MPA (mouvement des petits agriculteurs) du Brésil, de l’OLT (organisation de lutte pour la terre) et de la CONAMURI (coordination nationale des femmes rurales et indigènes) du Paraguay, de la CLOC-Vía campesina du Chili, Nicaragua, Venezuela, Colombie, Honduras, Perou, Canada, Salvador, Costa Rica... Et d’Argentine, des jeunes du MNCI, de mouvements urbains d’éducation populaire, de coopératives autogérées, de mouvements politiques… Quelques indignés espagnols donnent une touche encore plus internationale au tableau. Autour de thématiques journalières (analyse de conjoncture, souveraineté alimentaire et genre, rôle de la jeunesse dans la transformation sociale), on se réunit en plénière ou en ateliers pour discuter en espagnol, brésilien et guaraní, échanger les expériences locales, s’informer, élaborer des stratégies de lutte comunes. Des ateliers pratiques permettent des échanges de savoirs culinaires et médicinaux. Chaque jour, la commission “mystique”[1] apporte une touche de symbolisme et d’imagination créative aux objets de lutte et à la  lutte elle-même. Le campement fonctionne en semi-autogestion, puisqu’en-dehors de la coordination générale (coordinateurs du MNCI et de la CLOC), chaque participant est inscrit dans une ou plusieurs commissions de fonctionnement (cuisine, infrastructure, communication…), et peut proposer des ateliers ou animations. Les thèmes les plus saillants furent ceux qui se retrouvent surtout au Brésil et en Argentine, les deux pays les plus représentés : l’avancée de la frontiere agropécaire, l’accaparement des terres et le rôle des multinationales et des Etats dans ce processus ; le rôle des gouvernements progressistes et néo-développementistes (« assistancialisme » et soutien aux grandes puissances économiques) dans l’affaiblissement des mouvements sociaux de base ; l’oppression des femmes en milieu rural et leur role dans la promotion de la souverainete alimentaire ; la place des jeunes urbains issus de l’exode rural et leur refuge dans la drogue, la consommation ou la violence ; la répression et les violences policières ; la corruption de la justice ; le rôle des étudiants, l’accès à l’éducation et la privatisation de l’éducation supérieure, la récupération des savoirs et la valorisation des cultures originaires… Certains sujets de débats se retrouvent aujourd’hui en France : comment préserver et cultiver le potentiel transformateur de l’éducation populaire? comment faire converger les luttes urbaines et les luttes rurales? quelle souveraineté alimentaire en ville ? quelles formes d’organisations pour l’intégration de plus de jeunes au processus de transformation sociale, au militantisme? Etc. En parallèle du campement, deux réunions plus stratégiques ont eu lieu, liées aux alliances entre mouvements sociaux. La formation de la CLOC-Vía Campesina des jeunes a d’abord été entérinée, avec un communiqué commun (disponible sur le site Internet du MNCI). Une discussion a aussi eu lieu sur le rôle des organisations sociales participant au processus de l’ALBA[2] (qui possède un volet institutionnel et gouvernemental, et un volet “mouvements sociaux”). L’idée principale ressortant de cette dernière a été que la participation à l’ALBA était un outil à ne pas négliger, mais devait rester critique et porteuse d’initiatives (force de propositions et de contrôle du processus de construction de l’ALBA). Ces jeunes d’Amérique latine qui résistent, luttent, proposent et construisent le changement social, à différents niveaux et sur différents territoires, sont bien sûr une minorité. Mais le campement est aussi un lieu de formation et d’ouverture pour les nombreux jeunes venus simplement parce qu’ils ont participé à un atelier d’un centre culturel, ou parce que leurs parents sont membres d’une organisation paysanne. Les différences politiques sont nombreuses, les débats parfois houleux, mais reste présente la conscience que la convergence et l’articulation des mouvements est indispensable. L’un des slogans phare du campement, qui  clôt en outre le communiqué de la CLOC, révèle l’origine mémorielle de cette volonté d’union : “¡Juventud latino-americana unida, los ideales del Che caminan!”[3].  D’autres héros des luttes sociales passées ornent les murs de l’UNICAM, la future Université paysanne impulsée par le MNCI, justement sur le lieu du campement. Un après-midi de travail collectif (minga) est consacré à l’avancée des travaux, le lieu devant être bientôt prêt pour héberger les cours des differentes filières superieures. Destinées aux jeunes issus des campagnes, des quartiers populaires urbains ou des communautés originaires, ces filières proposeront des savoirs généraux et techniques, critiques et adaptés a la préservation de l'agriculture paysanne, dans un lieu accessible pour les jeunes ruraux. La filière d’agroécologie, première filière d’éducation supérieure paysanne reconnue par l’Etat, a deja plusieurs années d’existence au sein de l’ecole paysanne du MOCASE (mouvement paysan de Santiago del Estero, membre du MNCI) - les étudiants de la promotion 2011 ont d'ailleurs recu leur diplôme lors de la fête de clôture du campement. Forts de tous ces échanges sur les différentes réalités, résistances, initiatives, obstacles et victoires,  les participants retournent sur leur territoire pour continuer  ou impulser des luttes locales, en gardant en tête le slogan de la Vía campesina “globalicemos la lucha, globalicemos la esperanza!”[4].   


[1]      La mística, très utilisée dans les mouvements sociaux de base en Amérique latine depuis que le MST en a fait un outil systématique, est une mise en scène symbolique (théâtre, mime, chant, musique, danse…) et collective de la lutte en cours. Elle est destinée autant à la compréhension des enjeux qu’à l’union des participants, et permet de donner une touche festive à des luttes souvent très dures. [2]      Alliance bolivarienne pour les Ameriques, initiée entre autre par Chávez, projet d’union continentale politique et sociale. [3]      Jeunesse latino-américaine unie, les idéaux du Che cheminent

[4]      Mondialisons la lutte, mondialisons l’espérance

VIDEO:

http://www.youtube.com/watch?v=wDhYL4O79fg&feature=youtu.be

 
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