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Tirs nourris contre Chavez Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
19-07-2007
La liberté d’expression a bon dos
La polémique suscité par la décision du président vénézuélien Hugo Chavez de ne pas renouveler la concession de la chaîne RCTV dévoile la façon de faire des droites latino-américaines qui consiste à répéter les arguments sortis des usines à penser des États-Unis et d’Europe.

Raúl Zibechi


A fouiller un peu dans le magma d’informations provoqué par le non-renouvellement de la concession de RCTV, on constate que les opinions des médias et de nombreux « analystes » du Sud montrent ce qu’ils sont vraiment : les perroquets des idées défendues par les think thank du Nord. Il faut pour cela aller voir de tous côtés qui fabrique les idées et quels sont ceux qui font mine de rien, comme si la li-berté d’expression n’avait pas une longue et triste histoire qui, sur ce continent au moins, inclut un large éventail de violences, depuis la disparition de journalistes jusqu’à ce flux continu de licenciements de travailleurs des médias.

Ceux qui fabriquent les idées

Les usines de la pensée conservatrice étasuniennes et européennes sont derrière une bonne part des arguments exposés par les journalistes et politiques de la droite latino-américaine. Jusqu’à présent, c’étaient les centres d’études des États-Unis qui avaient la plus grande influence dans la région. Mais il semble que ceci soit en train de changer. Un bon exemple est le cas de la FAES (« Fondation d’analyses et d’études sociales », Espagne) grâce à laquelle l’ex-président José María Aznar – lequel s’identifie au franquisme comme l’a montré son parti ces derniers mois – influe sur les partis de droite d’Amérique latine. « Un programme de libertés » titrait le dernier rapport pour la région présenté fin mai à Buenos Aires et Sao Paulo. Le rapport définit les problèmes de ce continent : le « populisme révolutionnaire », le « néo-étatisme », l’« indigénisme raciste » et le « militarisme nationaliste ».

Le rapport d’Aznar soutient que les partis de droite de notre continent (libéraux, démocrates-chrétiens et conservateurs) doivent se fixer « l’objectif commun de défaire démocratiquement le projet du « socialisme du XXIe siècle ». Parallèlement, il préconise que les États-Unis aient une présence plus active en Amérique latine. L’aspect si démocratique de son projet est révélé par ses contacts locaux. En Argentine, il a présenté son rapport aux côtés de l’analyste Rosendo Fraga, lequel fut un appui de la dernière dictature militaire qui a provoqué le plus grand génocide de l’histoire de ce pays. Au Brésil, il l’a fait de concert avec Jorge Borhausen, dirigeant du Parti démocrate (ex-Parti du front libéral), le parti le plus proche de la dictature militaire des années soixante. Telles sont les amitiés d’Aznar qui, malgré cela, qualifie le gouvernement de Chavez de « si-nistre » et de « totalitaire ».

Bien au-delà des personnes, il est intéressant d’observer la façon dont les médias reproduisent les analyses émises par ces usines de la pensée conservatrice. L’un des médias les plus influents du continent est le journal argentin La Nación, partenaire de toutes les croisades antipopulaires et fidèle représentant des intérêts des multinationales. Dimanche 27 mai, il publiait un rapport sur une page en seize colonnes intitulé : « La presse d’Amérique du sud dans le viseur ». La journaliste s’arrête sur ce qu’elle considère comme « une guerre entre la presse et le gouvernement » et elle le fait en résumant la situation dans sept des dix pays du sous-continent : Argentine, Brésil, Bolivie, Chili, Equateur, Uruguay et Venezuela. Elle laisse de côté trois pays dans lesquels, tout l’indiquerait, la liberté de la presse ne serait pas menacée : Colombie, Paraguay et Pérou. En somme, elle choisit les gouvernements qui, avec plus ou moins d’emphase, trouvent des inconvénients au modèle néo-libéral.

Sa dureté envers la présidente chilienne Michelle Bachelet attire l’attention : sur la base d’une « source » qui préfère « garder l’anonymat », la journaliste conclut que « la présidente a une obsession des fuites » qu’elle attribue à « sa mentalité très idéologique » par rapport à son prédécesseur Ricardo Lagos, ce qui fait que « beaucoup de canaux d’informations se sont fermés ». Elle ajoute même que quelques correspondants étrangers se seraient plaints de « mauvais traitements officiels » à cause de ses rares contacts avec les médias.

Luiz Inacio da Silva s’en sort bien amoché lui aussi. Elle l’accuse de ce que son lien avec la presse n’ait « jamais été très intense », qu’il « évite le contact avec les médias chaque fois qu’il le peut » et que, « contrairement à Bachelet, Lula a porté l’hermétisme un pas plus loin ». Elle l’accuse d’avoir critiqué la presse de ne donner « que des mauvaises nouvelles ». Dans ce palmarès de La Nación, Tabaré Vázquez occupe la troisième place. « Son gouvernement a l’habitude d’accuser les médias de « conspirations et complots » et le chef d’État en arrive à diffuser, en 2006, une liste noire de médias qu’il accuse d’appartenir à l’« opposition ». Munie d’un rapport de mars dernier des entrepreneurs de presse (Sociedad Interamericana de Prensa), elle soutient qu’il existe en Uruguay un « harcèlement contre la liberté de la presse et contre la presse indépendante ». Avec Nestor Kirchner, La Nación est implacable, le traitant d’ « autoritaire » – le qualificatif le plus doux qu’elle lui accorde.

Le plat de résistance est composé des gouvernements les plus durs avec Washington et avec les organismes fi-nanciers internationaux. Selon le quotidien argentin, Chávez a ouvert le chemin du « verrou à la liberté d’expression » auquel tant Evo Morales que Rafael Correa sont en train de recourir. La thèse qui soutient ces affirmations est intéressante : étant donné que les rangs des partis politiques se sont vidés et qu’ils ne sont plus représentatifs, les médias assument le rôle de tête de file de la critique et sont malmenés par ces gouvernements pour cette raison.

La conclusion arrive quasiment dès le début de l’article : « Méfiants et suspicieux, les gouvernements régionaux adoptent toujours plus la confrontation comme stratégie vis-à-vis de la presse ». Dit d’une autre façon : maintenant que les néolibéraux ne contrôlent plus les États et ne peuvent plus compter avec l’appui de partis massivement soutenus à leur disposition, ils n’ont pas d’autre issue que de s’appuyer sur les médias de communication pour faire prévaloir leurs intérêts.

Un cas paradigmatique

Le journaliste espagnol David Carracedo vient de publier un rapport exhaustif qui montre que ces dernières années, 293 médias ont souffert dans le monde de l’arrêt, la révocation ou le non-renouvellement de leur licence : 77 chaînes de télévision et 159 radios dans 21 pays. En Colombie seulement, 76 radios communautaires ont été fermées. En mars de cette année, TeleAsturias (Espagne) s’est vu retirer son canal de transmission pour des raisons techniques. Le rapport n’inclut pas la fermeture de Radio Panamericana d’Uruguay, c’est pourquoi il est utile de rappeler l’attentat le plus important contre la liberté d’expression depuis le retour du régime parlementaire en 1985.

Toujours en Uruguay, le 26 août 1994, une résolution du gouvernement dirigé par Luis Alberto Lacalle a fermé les radios Panamericana et Centenario pendant 48 heures, pour avoir transmis le fait divers de l’Hôpital Filtro du 24 août. Ce jour-là avait eu lieu un rassemblement pour protester contre l’extradition de plusieurs citoyens basques détenus dans cet hôpital, accusés d’appartenir à l’ETA. La tentative des manifestants d’empêcher l’extradition avait provoqué une violente charge de la police qui s’était soldée par un mort et des dizaines de blessés, dont plusieurs gravement atteints. Le jour même où étaient décrétées les fermetures temporaires, une autre résolution révoquait l’autorisation attribuée à Panamericana.

Les partis Colorado et Nacional ont soutenu le gouvernement. L’association des propriétaires de médias, ANDEBU, eut de sérieuses difficultés pour arriver à un accord interne sur une déclaration publique. Deux semaines après la fermeture de Panamericana, ANDEBU a exprimé « sa préoccupation au sujet des procédures réalisées par le Pouvoir exécutif ». Mais il s’est empressé d’ajouter, dans le même communiqué, sa « préoccupation pour le contenu des programmes de Radio Panamericana » qui auraient convoqué les manifestants à la solidarité avec les Basques, et seraient « contraires aux principes qui régissent la conduite des membres de la radiodiffusion uruguayenne ». Une déclaration qui contraste vivement avec celle qui fut émise les jours derniers contre le non-renouvellement du permis à la RCTV, défini comme « une grave atteinte à la liberté d’expression ».

L’ex-président Julio María Sanguinetti a déclaré ces jours-ci que « le Venezuela est entré sur un terrain très préoccupant de détérioration de la démocratie » et assure que le cas de RCTV signifie « un effondrement de la liberté ». Les nationalistes, qui étaient au gouvernement en 1994 quand Panamericana a été fermée, ont assuré que la décision de Chavez est « une violation des droits humains » et le président de ce parti, Jorge Larrañaga, a déclaré qu’elle « est une attaque à la liberté de la presse, un attentat contre les libertés publiques, ce qui prouve que le régime de Monsieur Chavez est un régime boiteux d’un point de vue démocratique ».

Le contraste entre les faits de 1994 en Uruguay et l’attitude actuelle de la droite vis-à-vis de RCTV prouve noir sur blanc que la liberté d’expression tant mentionnée n’est qu’un prétexte pour attaquer et abattre les gouvernements qui cherchent à sortir du modèle néo-libéral. Et que, orphelins de l’appui populaire, ses partisans ne peuvent le faire qu’en provoquant des situations de grande instabilité qui créent les conditions pour des coups d’état. C’est la stratégie conçue par Aznar, fidèle ami de Bush, de Blair et de Sarkozy.

 
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