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Le gouvernement de Evo Morales est un gouvernement des mouvements sociaux ? Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
25-07-2007

La revue Nueva Sociedad présente l'article Sept questions et sept réponses sur la Bolivie d'Evo Morales de Pablo Stefanoni* paru dans son  dernier numéro de la manière suivante : "L'article formule des questions -et s'essaie à des réponses- au sujet de quelques-uns des principaux sujets de la réalité bolivienne actuelle, avec l'intuition que, au-delà de des résultats finaux et de l'évaluation sur la marche du gouvernement, le pays traverse une série de profonds changemens qui marqueront un avant et un après dans son histoire." Nous avons choisi de vous livrer la traduction de l'une des sept questions, "Le gouvernement de Evo Morales est un gouvernement des mouvements sociaux ?"

 

Le gouvernement de Evo Morales est un gouvernement des mouvements sociaux ?

Dans les dernières années, avec la crise des partis traditionnels et la fin de la centralité ouvrière (exprimée dans le fort affaiblissement de la Centrale Ouvrière Bolivienne - COB), il est devenu courant de parler des « mouvements sociaux ». Cet imaginaire est renforcé par le double rôle d'Evo Morales, à la fois président de la République et président des syndicats cocaleros du tropique de Cochabamba. Toutefois, cette formulation, utilisée sans plus grande précision, peut plus rendre opaque qu'illuminer la tension entre ruptures et continuités que porte en elle l'actuelle expérience bolivienne.

A quoi nous référons-nous quand nous parlons de mouvements sociaux en Bolivie ? La référence inévitable est le cycle de protestations qui a produit la chute des gouvernements de Gonzalo Sánchez de Lozada et de Carlos Mesa. À ces occasions, un ensemble d'organisations syndicales, indigènes et d'habitants se sont coordonnées autour de certains objectifs qui avaient en commun le rejet du  modèle néo-libéral : augmentation des tarifs des services publics (principalement l'eau) et dénationalisation de l'économie (contrôle transnational des hydrocarbures). Nous pouvons visualiser dans ces actions - dont les moments de plus grande intensité ont été la « guerre de l'eau » à Cochabamba en 2000, les blocus aymaras à la La Paz en 2000 et 2001 et les « guerres du gaz » de 2003 et 2005 - une expansion hégémonique à travers de la construction de cadres d'action collective qui ont permis de consolider des instances d'articulation au-delà des intérêts particuliers.

Cependant, lors de ces moments, où les organisations corporatives agissent comme mouvements sociaux et contribuent à développer les limites du système institutionnel, sont exceptionnels. Passé le moment des mobilisations, il est habituel d'observer de forts replis corporatifs qui constituent  une sorte de normalité dans les syndicats paysans, les communautés indigènes ou les assemblées d'habitants. Ainsi, nous heurtons-nous avec une des principales difficultés pour parler « d'un gouvernement des mouvements sociaux » : la tension entre des organisations de la société civile et des mouvements sociaux qui est concomitante à la propre dynamique interne de ces derniers (1). Que se passe-t-il au moment du repli ? S'agit-il d'un gouvernement des mouvements sociaux ou d'un accord corporatif dans lequel chaque secteur attend la satisfaction de ses demandes par l'État ? Jusqu'où est-il possible d'imaginer un projet d'émancipation au-delà des « différences » ? Quel est l'espace pour la construction d'une volonté collective au-dessus des particularismes ?

Après un peu plus d'un an de gouvernement du MAS, il y a plus de doutes que de certitudes. Et les doutes sont comblés -jusqu'où cela est possible- par le leadership carismatique et le pouvoir de décision de Evo Morales tandis que les relations entre l'Etat et les organisations sociales se développent sur un terrain marécageux et non exempt de tensions et d'ambivalences, ce qui peut être vérifié par quelques exemples. 

D'abord, la situation particulière a primé dans la négociation des candidatures du mAS, un mouvement qui est, en lui-même, une fédération de syndicats et, par moments, un parti sui géneris, plus perçu comme un problème que comme une solution par Evo Morales. D'un autre côté, les ministres «représentants des organisations sociales» ont été à l'origine de plusieurs  conflits, ou bien parce qu'ils ont été appelés à titre individuel et leur représentativité a été contestée -comme cela est arrivé avec Abel Mamani, ex-président de la Fédération des Assemblées de quartiers de El Alto, au ministère de l'Eau-, ou bien parce qu'ils ont perdu la perspective d'ensemble et qu'ils ont défendu des postures ultra-sectorielles -comme ce fut le cas de Walter Villarroel, dirigeant des coopératives minières, au ministère des Mines-, ou parce qu'ils ont montré de sérieuses difficultés de gestion -Casimira Rodriguez, ex-dirigeante du syndicat des employées domestiques, à la Justice-.

Un autre exemple de ces contradictions est le fait qu'une grande partie des grèves syndicales (comme celles des médecins et des maîtres) ont été déclarées illégales, à tel point que le président a dit à une occasion qu'il ne permettrait pas un "carnaval de protestations". De la même façon, après avoir défendu les "usages et coutumes" des indigènes et des paysans, Evo Morales a promu la centralisation de la représentation politique dans le MAS dans les élections pour l'Assemblée Constituante, en maintenant le monopole des partis politiques avec un système de circonscriptions uninominales sur la base d'un système de majorité et de minorité non proportionnelle.

Le "co-gouvernement" avec les organisations est relégué à quelques vice-ministères, comme ceux de la Coca, la Micro-entreprise ou la Défense Sociale (contrôle du trafic de stupéfiants). L'aire économique a été "blindée" et son accès a été défendu aux organisations sociales, alors que près de 80 % de la bureaucratie étatique a été maintenue en place. Dans ce contexte, le scandale pour le trafic et la vente d'"avales" (des recommandations de parlementaires et de dirigeants  syndicaux et sociaux pour occuper des charges dans l'administration publique) a montré en évidence la survit de vieilles pratiques clientélistes, maintenant "démocratisées" en vertu du changement  d'élites que vit la Bolivie. La solution du gouvernement face à la crise a été de suspendre l'entrée en vigueur des "avales" sans proposer une autre forme de sélection des fonctionnaires. En ce sens, la laxité "organisationnelle" et politique du MAS empêche la configuration d'espaces de confiance mutuelle et de formation technico-politique. Le principal argument pour la faible présence indigène dans le gouvernement est : "il n'y a pas de compagnons préparés pour ces postes".

Récemment, le Pacte d'Unité signé par les organisations paysannes pro-gouvernement a commencé à promouvoir la création d'un "quatrième pouvoir social", ce qui pourrait constituer une instance nouvelle pour leur participation non seulement dans le contrôle, mais aussi dans la gestion étatique. Cependant, ces propositions de radicalisation démocratique manquent encore de formulations concrètes pour les concrétiser dans une nouvelle institutionalité étatique, qui devrait combiner la démocratie représentative avec des formes de démocratie participative et directe enracinées dans les traditions du monde populaire bolivien et récréées à partir du cycle de mobilisations ouvert en 2000.

1 - Luis Tapia : « Les mouvements sociaux dans la conjoncture du gouvernement du MAS» en Willka nº1, 1-6/2007, Cades, El Alto. L'analyse de Tapia assigne aux mouvements sociaux un caractère progressiste et antinéolibéral. Pour notre part nous acceptons l'idée de l'existence de mouvements sociaux conservateurs. Il faut évaluer jusqu'où le mouvement autonomiste de Santa Cruz n'assume pas la forme d'un mouvement social ou comment définir le mouvement des évangélistes, qui - en alliance avec des groupes de gauche- ont obtenu cinq sièges dans l'Assemblée Constituante.

*Pablo Stefanoni est journaliste et chercheur en sciences sociales. Co-auteur de La révolution d'Evo Morales, de la coca au Palais (Capital Intelectual, Buenos Aires, 2006). Gagnant du Prix en Sciences Sociales Agustín Cueva (Equateur, 2004).

Pablo Stefanoni, Nueva Sociedad, nº 209, mai-juin 2007 (www.nuso.org). Traduction: http://amerikenlutte.free.fr
 

 
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