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Argentine : de la crise du système à la restauration péroniste ? Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
14-12-2005

Il est toujours difficile d’écrire l’histoire que l’on est en train de vivre. C’est le défi qui se présente à nous au moment d’écrire ce que nous vivons comme personnes, les différents moments et sensations et les luttes que nous avons faites et que nous continuons de mener. Mais la tentative de regarder le passé et le présent vaut la peine quand il s’agit d’éclairer l’avenir ; c’est pour cette raison qu’il est utile de résumer le vécu des dernières années.

Cadre historique de la crise.

Il est impossible de comprendre la crise politique qui est devenue manifeste en décembre 2001 sans comprendre à grands traits les caractéristiques de l’histoire argentine, au moins depuis la décennie de 1940 ; par conséquent nous nous allons en tracer quelques lignes d’analyse. Nous partons du premier gouvernement de Juan Domingo Perón, un militaire populiste comme tant d’autres en Amérique Latine, avec de fortes sympathies vers le franquisme, au point qu’il s’exilia en Espagne [1]. Perón a réussi à en finir avec l’influence des anarchistes sur les masses populaires, mais non seulement de ceux-ci, mais aussi des socialistes, communistes et autres tendances, au moyen de la cooptación de la CGT (la centrale syndicale unique ; le reste du syndicalisme attend toujours la reconnaissance juridique). Mais de plus il a réussi à articuler un modèle presque keynésien de politiques économiques qui a engendré une hausse de la qualité de vie d’amples secteurs de la population, avant cela marginalisés, appuyé sur des dépenses de l’État ; il a nationalisé des secteurs clefs de l’industrie, comme les chemins de fer ; et il a pu polariser la discussion politique entre péronistes et antipéronistes pour plus de 30 ans.

En 1955 Perón est renversé par un coup d’Etat militaire. Jusqu’aux années 70 se succéderont au gouvernement des dictatures militaires et des gouvernements démocratiques (avec le péronisme interdit). En 1973, Peron assumera, dans un moment de luttes sociales très fortes, avec la prédominance des groupes de lutte armée (fondamentalement deux : l’Armée Révolutionnaire du Peuple, marxiste-léniniste, et les Montoneros, péronistes de gauche). Le péronisme se trouvait très divisé entre la droite et la gauche ; Perón a choisi un côté, et cela n’a pas été celui de la "révolution socialiste", mais plutôt celui des hordes fascistes de l’Alliance Anticommuniste Argentine (la Triple A). À la mort de Perón en 1974, tout l’équilibre se perd. Son épouse et vice-présidente du pays, Isabelle Perón, ne peut pas contrôler la situation... En 1976 un coup d’État initie la répression la plus sanglante que le peuple argentin ait connue : 30.000 disparus, séquestrés et assassinés. Cette dictature est non seulement au pouvoir pour réprimer, mais aussi pour imposer le néolibéralisme, en contractant une grande partie de l’actuelle dette externe, pour donner des subventions à de grands entrepreneurs, et nationaliser la dette privée de ces bourgeois.

Après la grise décennie des 80, avec y compris la transition à la démocratie, la décennie des 90 a été celle du retour du péronisme au pouvoir ; seulement le président Carlos Menem a appliqué un programme qui avait peu à voir avec celui de Perón, excepté au niveau de la répression et de la corruption. Il a privatisé les entreprises de services de l’État et annihilé le peu d’industrie qu’il restait, favorisant les importations et les investissements étrangers. Son ministre de l’économie, Domingo Cavallo, s’est converti en symbole du néolibéralisme. Tous ces éléments ont caractérisé le gouvernement de Menem et de son successeur Fernando De la Rúa. Celui-ci est arrivé au pouvoir en critiquant la politique économique de Menem, mais il a suivi à fond ses recettes, qui avaient été fortement applaudies par le FMI et la Banque Mondiale. De la Rúa, élu en 1999 grâce au vote anti-Menem, s’est rapidement montré incapable de contenir la protestation, en démontrant le manque de volonté de son gouvernement pour inverser la direction économique et sociale d’exclusion croissante que les classes dépossédées subissaient. 2001 a été l’année durant laquelle tout a éclaté. La crise imminente a été accélérée par les manoeuvres de déstabilisation de secteurs du péronisme, en générant un niveau de mobilisation qui a rapidement dépassé tout type de cadre institutionnel [2]. Ensuite un gouvernement de transition à la normalité, présidé par le représentant du péronisme de la province du Buenos Aires et leader mafieux (capot de la drogue), Eduardo Duhalde, a été désigné par le Parlement. Son gouvernement a proposé au niveau économique la continuation du modèle néoliberal, mais avec quelques réformes comme la dévaluation de la monnaie, qui a modifié le secteur bénéficiaire de la bourgeoisie : des importateurs et spéculateurs financiers aux exportateurs, surtout agricoles. Au niveau social il a entrepris une répression ouverte contre les secteurs populaires, durant son mandat, la police a assassiné deux militants du Mouvement de Travailleurs sans emploi (MTD) Aníval Verón, Darío Santillán et Maximiliano Kosteki, lors d’un "piquete" (en juin 2002). Ses morts sont représentatives des dizaines de tués par l’Etat dans ses tentatives de "pacifier" le pays ; elles sont dans une certaine forme des symboles de la manière dont l’État a essayé de noyer la résistance. Il n’a pas pu y parvenir. En 2003, Duhalde a convoqué à des élections dans lesquelles a été réaffirmée une tendance en vigueur depuis les élections législatives de 2000 : la décadence du radicalisme (petit parti bourgeois de caractère démocratique) et la division du Parti Justicialiste (péroniste). C’est-à-dire, la décadence du système bipartiste. Dans ces élections, on a pu voir comment face à la possibilité d’un nouveau triomphe de Menem, les gens ont voté un autre péroniste comme Néstor Kirchner, un inconnu gouverneur de Santa Cruz, une des provinces de la Patagonie. [3]

Les deux ans de gouvernement de Kirchner ont été marqué par la continuation de la politique économique duhaldiste [4], en la dotant d’un discours nationaliste (mais en privilégiant toujours le pacte avec les organismes internationaux de financement), avec un virage dans la relation avec le "champ populaire". La nouvelle stratégie de Kirchner a été celle d’incorporer à son gouvernement la plus grande quantité possible de secteurs en lutte, pour les utiliser comme base sociale, tout en stigmatisant les secteurs qui continuaient dans l’opposition, en réussissant à diviser les luttes. Entre les secteurs qui collaborent aujourd’hui avec le gouvernement se trouvent, tristement, les Mères de la Place de Mai (dans sa branche majoritaire). Cela a été possible par l’utilisation d’un discours fortement critique de la dictature militaire de 1976-1983, avec une revendication de la lutte des disparus et une persécution des militaires (jugés coupables lors du procès de la junte militaire en 1984), qui avaient été graciés par Menem et étaient protégés par deux lois d’amnistie du gouvernement radical de Raúl Alfonsín (1983-1989). Kirchner prête une attention excessive à la défense des droits humains quand il parle du passé, mais sa politique économique continue à condamner à la faim des millions d’habitants du pays, et à remplir les prisons de prisonniers politiques. [5]

Explosion sociale et après.

La crise économique a engendré, comme il était prévisible, l’explosion sociale de décembre 2001. Le peuple, auto-organisé et spontanément, a fait front à la police, a créé des assemblées dans les quartiers, a fait des coupures de route, a occupé des entreprises... Ces faits sont connus dans le monde entier ; il vaut la peine de voir alors l’évolution de ces mouvements jusqu’à aujourd’hui. Les assemblées, qui ont commencé avec beaucoup de force, ont diminué en nombre et en activité alors qu’elles étaient en train de se politiser, c’est-à-dire de sortir d’une position seulement de quartier ou quotidienne et en constituant un sujet politique de plein droit. Aujourd’hui, à Buenos Aires il y a des assemblées qui sont extrêmement fidèles aux principes qui leur ont donné naissance, alors que d’autres se présentent aux élections sous le nom d’"Assemblées du Peuple"... (moins de 1% des votes à Buenos Aires, NdT). Parmi les assemblées qui sont restées fidèles à leurs principes, plusieurs maintiennent des espaces occupés, et cherchent à se rattacher au quartier au travers d’actions culturelles et politiques. Dans la ville de Buenos Aires, le cas de l’Assemblée de Cid Campeador ou l’Assemblée Populaire de Almagro, sont paradigmatiques, les deux avec des locaux occupés. En ce qui concerne le mouvement piquetero, le premier éclaircissement nécessaire consiste à dire qu’il ne s’agit pas d’un mouvement unique, mais qu’il y a beaucoup d’organisations piqueteras qui répondent à différents programmes politiques. Nous pouvons dire que dans les deux dernières années trois grands groupes se sont définis, trois "mouvements" piqueteros. D’un côté, nous avons les groupes alignés avec le gouvernement péroniste de Kirchner, ceux qui jusqu’en 2002 intégraient le dit "champs populaire" et aujourd’hui qui agissent comme groupe de choc du kirchnerisme. Les dits groupes se reconnaissent, en général, dans la tradition de gauche du péronisme, représentée par les Montoneros dans la décennie des 70. Nous pouvons donc dire que le gouvernement de Kirchner a "cassé" le mouvement piquetero en cooptant certains de ses dirigeants qui participent de nos jours à différents Sécrétariats de l’Etat (« divisé » est plus juste car le mouvement continue, NdT). La méthode de cooptation a été politique mais aussi économique, ont été versés des millions de pesos au travers de subventions et de projets productifs pour fortifier ces organisations, dans le cadre d’une construction politique "transversale" que Kirchner propose, à nos yeux comme la forme de gagner une base sociale en face d’un Parti Justicialiste qui ne lui répond pas aveuglement. Ces mouvements alignés avec le Gouvernement ont des stratégies d’action d’assistanat et agissent depuis une logique instrumentale, en utilisant les gens comme "du bétail" pour des meetings politiques , des manifestations ou des "piquetes" (bien qu’étant donnée leur alliance avec le gouvernement ils aient pratiquement suspendu les coupures de routes ou de rues, et en réalisent même certains pour soutenir Kirchner) [6].

Le deuxième grand secteur piquetero est celui qui répond aux partis d’extrème-gauche. Depuis la fin des années 90, la capacité de lutte des chômeurs a été démontrée, raison pour laquelle les partis d’extrème gauche ont consacré leur appareils à la construction d’outils de lutte pour ce champs. Ainsi, chaque parti a construit son "bras" piquetero, et ils n’ont pas pris soin d’occulter cette relation. Par exemple, le Parti Ovrier (PO) a levé le Pôle Ouvrier, le Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) a fait de même avec le Mouvement Sans Travail. Les exceptions ont été des partis trop petits ou sectaires (Parti des Travailleurs pour le Socialisme (PTS), le Mouvement au Socialisme (MAS), etc..) qui, depuis une optique plus ouvriériste ont dédaigné la lutte des chômeurs. Les pratiques qui caractérisent ces mouvements ne sont pas trop éloignées de celles des organisations péronistes alignées avec le gouvernement, avec leur diffèrence d’orientation politique. Le contrôle des plans sociaux [7] -des allocations de l’État aux chômeurs- est le timon qui leur permet de manier les quartiers dans lesquels ils s’insèrent. Comme conséquence du surgissement et de la consolidation de ces courants de gauche, dans quelques quartiers ont été déplacés les "punteros" péronistes (des dirigeants de base avec des pratiques mafieuses), ce qui représente sans doute une avancé, étant donné qu’au moins la gauche ne se dédit pas au traffic de drogues et d’armes.

Un troisième mouvement piquetero est celui qui remet en cause les formes verticales et hiérarchiques d’organisation. Ce groupe est représenté par le relativement nouveau "Front Populaire Dario Santillán", qui agglutine différents groupes, comme le Mouvement de Travailleurs sans emploi (MTD) Aníbal Verón, le Mouvement d’Unité Populaire (MUP) et autres de moindre portée. Dans ces mouvements travaillent la majorité des compagnons libertaires. Bien qu’ils reçoivent les plans sociaux du Gouvernement (pour lequel nous ne pouvons pas les critiquer, puisque la situation dans les quartiers est réellement critique) ces mouvements en réalisent un maniement différent, avec des critères collectifs et en essayant de fonder des coopératives et des alternatives autogestionnaires. Ces groupes projètent une rupture de type révolutionnaire avec l’actuelle société et critiquent l’État et le capitalisme, ce qui les place près de nos idées.

En plus de ces trois grands groupes nous avons le Mouvement Indépendant de Retraités et de Chômeurs que dirige Raúl Castells, qui dans des lignes générales est critique avec le gouvernement, mais il ne peut pas être groupé dans une des catégories antérieures puisqu’il ne se coordonne pas dans les luttes avec d’autres secteurs et étant donné que son orientation personnaliste emprunte des directions qui compliquent sa caractérisation. Après avoir été un des groupes les plus importants en terme de nombre, il a été pratiquement désarticulé, en partie par les persécutions depuis le gouvernement qui ont entrainé son dirigeant, Raul Castells, en prison à plusieurs reprises [8].

Un autre phénomène social qui a caractérisé cette période de luttes, a été celui des fabriques et des entreprises occupées et mises en production par ses propres travailleurs. Durant les années 90, beaucoup d’entrepreneurs ont préféré vider les fabriques et les vendre. Durant la crise de 2001 une fuite de capitaux sans précédents a été enregistrée (les réserves de la Banque Centrale ont baissé à des niveaux historiques) et des centaines de fabriques qui ont fermé furent récupérées par leurs travailleurs. En 2002, les expériences de ce type se sont multipliées en long et en large du pays. Chaque cas a eu une évolution particulière, et nous avons trois exemples paradigmatiques : Brukman, Zanón et Sasetru.

Brukman, fabrique de vêtements de haute qualité, a été occupé par ses travailleuses un jour avant les journées des 19 et 20 décembre. Après une longue lutte dans les rues mais aussi au niveau légal, dans laquelle elles ont compté sur le soutien de tout le "champ populaire", les travailleuses ont été délogées par une violente opération policière (une véritable partie de chasse à l’homme dans les rues de Buenos Aires). La forme qu’elles ont trouvée pour récupérer leurs postes de travail a été de former une coopérative avec l’avocat Luis Caro à la tête. Cet avocat est l’outil du gouvernement pour désarticuler les possibilités de vraie autogestion dans des fabriques et des entreprises récupérées. Avec les ressources de l’État, Caro "organise" les entreprises, en les rendant rentables, mais en les réinsérant dans le capitalisme, en faisant que les travailleurs s’auto-exploitent.

La deuxième expérience emblématique est celle de Zanón, la principale productrice de céramique du pays. Située dans la province de Neuquén, la lutte pour Zanón s’est placé dans le cadre de la lutte contre la bureaucratie syndicale des céramistes et avec l’opposition mafieuse du gouvernement provincial. De nos jours Zanón est un exemple de lutte, est entièrement gérée par ses travailleurs et a augmenté sa productivité en incorporant des chômeurs d’organisations piqueteras.

Le troisième exemple est celui de Sasetru. Cette fabrique de pâtes, qui était fermée depuis des années, a été occupée par le Pôle Ouvrier avec l’intention de la mettre à produire. Le gouvernement, dans sa volonté de freiner l’avancée des luttes, a instrumenté une féroce répression et elle a été expulsée.

Une caractérisation du mouvement des entreprises récupérées pourrait être la suivante : d’un côté se trouvent les entreprises qui se sont converties en coopératives sous l’égide du gouvernement et qui fonctionnent comme des entreprises capitalistes, d’un autre côté se trouvent celles qui projètent une lutte contre ce système et qui, demandant ou non des subsides de l’État, essaient de créer de nouvelles relations sociales dans le cadre de la production [9]. Au milieu de ces deux extrémités se situent une multitude d’expériences mixtes. En général, ces entreprises récupérées bouleversant l’ordre en vigueur, combinent leur activité économique avec des activités culturelles, convertissant plusieurs fois la fabrique en question en un vrai centre culturel ouvert au quartier. Ainsi des cours, du théâtre, différents ateliers, des concerts, etc. sont donnés. Actuellement, la lutte pour l’expropriation temporaire de l’Hôtel BAUEN, hôtel de grande catégorie situé au centre de Buenos Aires et l’un des centres de la vie politique de la gauche de la ville, est en cours.

Finalement, il reste à parler des luttes que les travailleurs protagonisent et comment celles-ci les amènent à s’opposer aux bureaucraties syndicales de la centrale syndicale unique (CGT). Il faut détacher que l’Argentinazo (comme sont appelées les journées des 19 et 20 décembre 2001 et le mouvement postérieur) a été préparé par les piqueteros, et par les étudiants, mais aussi par les travailleurs, en particulier par les employés publics et les enseignants, qui ont été les seuls à maintenir la lutte contre le ménémisme. Après les 19 et 20, nous voyons un approfondissement des luttes de différents secteurs ouvriers qui ne s’étaient pas mobilisés auparavant, comme le cas des travailleurs du métro de Buenos Aires ou des coursiers (motoqueros). Dans les deux cas, ils se sont organisés au travers d’assemblées internes, de commissions syndicales, de manière démocratique et assembléaire. Dans ces deux dernières années, comme conséquence de la dévaluation de la monnaie et de la chute du salaire des travailleurs, en plus de la relative diminution du taux de chômage, les luttes ouvrières ont grandement augmenté. Dans quelques cas, elles sont même portées en avant et contenues par la bureaucratie de la CGT, dans d’autres cas, les bases mobilisées dépassent les directions bureaucratiques, que ce soit dans des luttes ponctuelles ou dans des élections de Commissions Internes. Cela représente un grave problème pour le gouvernement, qui a mis en marche des stratégies de division de la classe travailleuse à l’égard des chômeurs et d’autres secteurs en lutte, et à l’intérieur de la classe travailleuse, entre les secteurs les plus radicalisés et les "dialoguistes", entre les travailleurs déclarés et ceux au noir, entre les étatiques et les privés, etc.. Ainsi nous voyons des figures de première ligne du gouvernement de Kirchner accuser de terroristes les infirmières du Garrahan (un hôpital pédriatrique de haute complexité) pour mener une grève en exigeant un salaire équivalent à ce que le même gouvernement définit comme le minimum pour qu’une famille puisse ne pas être considérée comme pauvre.

La situation générale

Ces divers sujets en lutte confluent sur un "champ populaire" assez mobilisé, bien qu’avec peu de capacité d’"entrainement" par rapport à la société en général si nous le mesurons sur la base de 2002. Avec le gouvernement de Kirchner des améliorations sont enregistrées au niveau des indicateurs macroéconomiques et une certaine récupération économique (illustrées par des bénéfices records qui ne sont pas distribués équitativement). Ce renouveau économique influent sur beaucoup de facteurs, mais ce qui est sûr c’est qu’après la crise de 2001 d’amples secteurs de la société préfèrent avoir confiance en ce gouvernement et nous pourrions caractériser l’actuelle étape de reflux des luttes, avec un champ populaire sur la défensive qui passe à l’offensive dans certains cas très ponctuels où des conditions comme les bas salaires donnent une légitimité évidente aux mobilisations. De toute façon la situation sociale se trouve à un point particulièrement volatil. De la part du gouvernement il est évident qu’il essaie d’en finir définitivement avec le cycle de luttes qui est arrivé à son point le plus élevé en décembre 2001. Ainsi il entreprend une campagne de critique du mouvement populaire qui cherche à isoler les secteurs les plus radicalisés, sur lesquels il utilise la répression légale ou illégale. Mais Kirchner n’a pas encore pu en finir avec la mobilisation, dans ces derniers mois des luttes importantes des enseignants et des étudiants universitaires, ainsi que des travailleurs des hôpitaux Garrahan y Posadas ont eu lieu, qui ont de nouveau remis en question la capacité de ce gouvernement d’apaiser la lutte sociale.

Une évaluation du rôle de l’anarchisme dans les actuelles luttes.

Le mouvement anarchiste a participé dès le début aux luttes que le peuple a menées. Mais le fait est que les anarchistes, réduits en nombre, nous n’avons pas pu réussir à maintenir vivante la flamme du premier moment. La casse qu’ont subi beaucoup de luttes, en y ajoutant les stratégies démobilisatrices de l’extrème gauche partisane, qui essaye d’apposer à chaque lutte sa signature, n’a pas permit d’avancer les propositions libertaires qui avaient été adoptées sans connaissance réelle par le peuple. Si le processus de mobilisation de 2001 n’a pas pu imposer une mise en question sérieuse du capitalisme et de l’étatisme en Argentine, cela a découlé non seulement du manque de conscience révolutionnaire dans les masses, mais aussi (et ces deux points se trouvent rattachés très intimement) par le manque de préparation dont souffre le mouvement libertaire. Cependant, la crise de laquelle nous ne somnmes pas encore sortie a été extrêmement positive pour l’anarchisme ; des groupes et des journaux ont proliféré, et une multitude de personnes qui avant 2001 ne croyaient pas possible la transformation sociale se rejoignent. Beaucoup de gens viennent dans les locaux, et non seulement, comme ce fut le cas durant la décennie 90, des étudiants ou des membres de familles de vieux lutteurs, mais des travailleurs et des chômeurs, des jeunes et moins jeunes, des femmes et des hommes... L’anarchisme croît. En ce qui concerne la composition du mouvement dénommé anarchiste, nous pouvons voir qu’il pèche d’un sérieux manque d’organisation et de coordination entre les groupes, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local. Les divisions théoriques et pratiques (surtout entre insurreccionalistes et organisationistes) démontrent la jeunesse de notre mouvement. Dans ce sens, la tâche que doit réaliser la FLA (la Fédération Libertaire Argentine) pour doter l’anarchisme de plus grande présence dans les luttes populaires est de travailler fortement pour l’organisation de celui ci, pour la coordination des différentes tâches (de quartiers, syndicales, étudiantes, culturelles) avec comme objectif le communisme anarchiste  [10]. En ce sens nous devons combattre certaines tendances défaitistes et irréfléchies qui sont très communes parmi les anarchistes.

Vers l’avenir.

Le titre det article mérite une explication. En deux ans, Kirchner a réussi à générer un certain niveau de satisfaction et battre à l’intérieur du péronisme d’autres tendances, en se donnant le luxe aujourd’hui de faire front à Duhalde, qui l’avait parrainé. Dans les dernières semaines des luttes très importantes ont été données par les travailleurs de la santé et de l’éducation, des secteurs relégués par le gouvernement de Kirchner. Les élections qui s’approchent peuvent être ou bien la légitimation que recherche le gouvernement pour approfondir ses politiques, avec lequel le Parti Justicialista recommencerait à être unifié autour de la figure de Kirchner ; ou bien la confirmation que le cycle de mobilisation populaire continue. Notre devoir comme anarchistes est d’appeler à l’abstention électorale pour frapper non seulement le gouvernement de Kirchner mais aussi à tout autre bourgeois qui veut occuper sa place ; organisés en Assemblée Anti-électorale que nous sommes en train de réaliser. Mais notre plus grand devoir que nous ne pouvons pas refuser, est celui de nous organiser pour lutter avec le peuple et pour faire resurgir ce cri spontané de 2001 : "qu’ils s’en aillent tous" (que se vayan todos). Et d’ajouter "et qu’aucun autre ne vienne"

[1] Comme en témoigne une chanson populaire de la résistance espagnole : "Dans le Ferrol du Chef, un grand caïman est né, il ne donne pas d’huile ni ne lle) donne du pain, et est ami de Perón".

[2] Note du traducteur : Puis ce furent les journées des 19 et 20 décembre 2001, le peuple dans la rue, la répression, 33 morts, la démission de De La Rua...

[3] Note du traducteur : Menem, avec 25 %, est arrivé en tête du premier tour mais, face à une défaite flagrante, a abandonné, Kirchner, en réalité le candidat de Duhalde, deuxième du premier tour avec 22 %, a donc été désigné président de la république.

[4] Au point qu’il a maintenu à son poste Lavagna, le ministre de l’économie de Duhalde.

[5] Note du traducteur : 50 % des argentin(e)s sont pauvres, les salaires sont en dessous du seuil de pauvreté, des millions de personnes survivent avec 50 euros par mois. Le terme "remplir" est un peu excessif, il y eut à un moment une cinquantaine de personnes détenues pour participation à des protestations. Cela dit environ 4 000 militants sont inculpés depuis plusieurs années et en attente de jugement et Kirchner n’a pas fait voter une loi d’amnistie comme le réclament plusieurs secteurs sociaux.

[6] Note du traducteur : Ces organisations sont essentiellement Barrios de Pie (Quartiers Debouts) et la Fédération Terres et Logements (FTV, affiliée au syndicat CTA), deux organisations qui existaient avant l’arrivée au pouvoir de Kirchner, ensuite d’autres organisations ont été créées comme par exemple le Mouvement Evita.

[7] Les plans sociaux ont surgi comme un pansement pour la situation économique extrêmement grave que vit plus de la moitié de la population du pays. De toute façon, c’est un pansement minimal, puisque le "panier familial" (l’ensemble des produits dont une famille a besoin pour vivre un mois) est évaluée à environ 1.800 pesos (450 euros) et le plan social est de 150 pesos par mois (35 euros).

[8] Note du traducteur : plusieurs organisations ont été oubliées par l’auteur de cet article. D’un côté, le Courant Classiste et Combatif (CCC) et le Mouvement de Travailleurs sans emploi (MTD) Anibal Veron que dirige Juan Daffunchio et qui est un rassemblement de plusieurs groupes né de la scission de l’ex Coordination Anibal Veron. Ces deux organisations ont des positions critiques par rapport au gouvernement mais le soutiennent sur quelques points. Un autre groupe qui a quitté la Coordination Anibal Veron dont il était un des fondateurs est le MTD de Solano, très connu internationellement, qui est engagé dans l’autonomie c’est à dire la construction de nouveaux liens sociaux, avec les zapatistes comme référence. Il ne sort pratiquement jamais de son quartier. Et d’autres encore... ! ! Comme le Mouvement Teresa Rodriguez (MTR).

[9] Note du traducteur : Le fait de fonctionner en coopérative n’est pas forcément équivalant à fonctionner comme des entreprises capitalistes. De nombreuses coopératives le démontrent, Brukman n’est pas représentatif de toutes les coopératives.

[10] Note du traducteur : beaucoup de libertaires ne font pas partie d’organisations anarchistes et n’attendent pas la FLA pour s’investir au niveau des luttes sociales, en particulier à l’intérieur du Front Populaire Dario Santillan.

"Tierra y libertad" nº209, 4 décembre 2004
Traduction : http://amerikenlutte.free.fr

 
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