Menu Content/Inhalt
Accueil arrow Dictature & justice arrow "Terreur" en faveur de l’impunité
"Terreur" en faveur de l’impunité Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
31-12-2006
Le 27 décembre, Luis Gerez, séquestré et torturé sous la dictature militaire (1976-1983) par l’ex commissaire Luis Patti et une des personnes ayant témoigné contre lui pour l’empêcher de prendre ses fonctions comme député national a disparu. Une fois l’alerte donnée, des opérations de recherche ont rapidemment été déclenchées et Gerez a été relaché le 29. Jorge Julio Lopez a disparu depuis plus de trois mois et les possibilité qu’il apparaisse en vie sont casi nulles. Lopez avait témoigné contre Miguel Etchecolatz, ancien chef des renseignements de la police de la province de Buenos Aires pendant la dictature et condamné à la prison à perpétuité pour génocide. Ces "disparitions" accompagnent une recrudescence de menaces et d’agressions contre témoins ou militants. Le gouvernement de Kirchner a impulsé l’annulation des lois d’impunité permettant la réouverture des procès contre les militaires mais ceci est-il suffisant ? L’Argentine se dirige-t-elle vers une solution à la chilienne ? Que révèle ces "disparitions" ? La bête immonde est-elle définitivement vaincue ou bouge-t-elle encore ? L’Argentine vit-elle une situation similaire à celle qu’a vécue la France au sortir de la seconde guerre mondiale avec des hauts fonctionnaires et des fonctionnaires collabos se recyclant dans le nouveau régime ? Un excellent article du journaliste argentin Horacio Verbitsky répond en partie à ces questions. Extraits.

LES LECONS DU CAS GEREZ

Serial Killer de la dictature, le commissaire Luis Abelardo Patti a continué de torturer après, avec la complicité des secteurs politiques. En 1990 le juge Raul Borrino l’a arrêté pour avoir torturer deux personnes accusées de vol. Le président Carlos Memen a fait son éloge public parce qu’il a dit qu’il avait nettoyé sa zone des délinquants (au karcher ? NdT). Le gouverneur de la province de Buenos Aires, Antonio Cafiero et son ministre de gouvernement Jose Maria Diaz Bancalari avaient envoyé le chef de la police lui porter la solidarité officielle dans son lieu de détention. Les habitants des quartiers riches ont pris d’assaut le bureau de Borrino et avec ce prétexte la Cour d’Appel l’a écarté du dossier, pour qu’un autre magistrat remette en liberté Patti. Menem l’a désigné comme interventeur du Marché Central et a soutenu sa candidature comme gouverneur de la province de Buenos Aires. Eduardo Duhalde a inclus l’année dernière dans la liste électorale de son épouse. Cette année cette condescendance s’est arrêtée quand les députés kirchneristes Miguel Bonasso, Remo Carlotto et Araceli Mendez ont proposé le rejet de son titre pour manque d’aptitude morale, voté par la Chambre des Députés, malgré l’opposition de queques membres de l’UCR. Mais tous les dirigeants politiques n’ont toujours pas coupé les ponts avec Patti parce qu’ils partagent son idée que les droits et les garanties constitutionnelles sont un obstacle pour la sécurité, comme le démontre le projet de réforme du code pénal du ministre de la justice de la province de Buenos Aires Eduardo Di Rocco que le Sénat provincial a refusé d’appouver à la volée et sans discussion comme le prétendait le gouverneur kirchnériste Felipe Sola.

(...)

Celui de Gerez ne constitue pas un cas isolé. Il fait parti d’une série d’épisodes similaires au niveau des caractéristiques et des intentions. La séquestration de Jorge Julio Lopez il y a cent jours ; le suicide présumé du témoin clef Albino Montecucco, ex-agent civil de l’intelligence de l’Armée qui est apparu pendu le même jour où il devait déclarer dans le dossier du centre clandestin de détention Paso de Los Libres ; la raclée à un autre témoin qui avait déjà déclaré dans la même affaire, Carlos Lozada, en face de l’ex-siège militaire dans lequel il a été torturé il y a trois décennies ; et la séquestration durant deux semaines à Venado Tuerto de Hector Dario Bustos, à qui ils ont brûlé une croix gammée sur la poitrine avec des cigarettes, sont quelques uns des plus récents. Il y a une volonté de casser la volonté étatique de continuer ces investigations et pour obtenir une forme d’impunité, de fait ou d’iure. En toutes lettres l’a dit un éditorial du journal La Nation le même jour de la disparition de Gerez : "l’important est d’avancer vers une réconciliation qui arrivera difficilement si on continue de ressusciter la haine à partir de la prétension officielle de fragmenter notre vision sur les néfastes épisodes d’un passé que les argentins devons tirer enseignement sans en rester prisonnier". Kirchner a ratifié qu’il ne reculerait pas et a trouvé l’expression précise pour définir ce qui est en jeu, qui est la possibilité de vivre une fois pour toute dans un État de droit.

Ce qui s’est passé au Chili avec Pinochet est un bon exemple : le dictateur est mort innocent, parce qu’il n’a jamais été condamné, et a même reçu des honneurs funèbres comme ex-commandant en chef de l’Armée. En Argentine, le premier condamné après la nullité des lois d’impunité a été un sous-officier de la Police Fédérale (Julio Simon alias le Turc Julian) et le second, un officier de la police de la province de Buenos Aires (le commissaire Miguel Etchecolatz). En revanche, aucun officier des Forces Armées, actionnaire ou dirigeant d’entreprise, évêque ou curé militaire sont comparus en procès, malgré le fait que se sont déjà écoulés huit années depuis que les ex-dictateurs Massera et Videla et une douzaine de hauts militaires aient été arrêtés pour vol de bébés. Le cours du temps sans que ne se ferme l’instruction et que ne s’ouvrent des procès termine par dévaluer la justice qui, à un certain moment, leur accorde la liberté parce qu’ont excédé tout délai raisonnable de détention sans condamnation. C’est le cas, par exemple, de l’ex-dictateur Benito Bignone qui a été vu par des passants scandalisés dans un shopping dépenser pour ses achats de Noël la retraite extraordinaire qu’il touche pour avoir usurpé le pouvoir.

(...)

Les vieilles structures de renseignements n’ont pas été purgées de leurs membres impliqués des pratiques incompatibles avec la vie en démocratie et les nouvelles ne les ont pas encore remplacées. Kirchner a montré une forte décision de conduire les Forces Armées et a trouvé en Nilda Garre une collaboratrice efficace. Il a aussi expliqué qu’il n’a pas peur de ceux qui revendiquent les méthodes de la dictature. Mais cela ne suffit pas. Est aussi nécessaire une réponse institutionnelle à ces cas qui, avec un faible risque pour leurs auteurs, produisent un effet d’usure et de crainte parmi plaignants, témoins, procureurs et juges. Sur ce terrain la réponse étatique a été déficiente.

Il y a cent jours, quand a été divulguée le passé de Juan Jose Alvarez comme agent de la SIDE (services secrets) sous la dictature [1], le CELS (Centre d’Etudes Légales et Sociales) a sollicité au Pouvoir Exécutif que se déclassifie l’information sur tout le personnel de la SIDE qui a prêté des services durant la dictature militaire. Personne n’a répondu. La sollicitude a été réitérée vendredi dernier quelques heures avant que Kirchner ne parle au pays.

(...)

Le livre publié cette année par le journaliste Gerardo Young, "SIDE. L’Argentine sécrète", contient quelques données inquiétantes sur la continuité dans l’organisme d’agents qui ont été des personnes de confiance des généraux Carlos Martinez et Otto Paladino, et dont les fiches auraient été épurées en 1984. Selon Young, ils n’ont pas de postes mineurs : Horacio Antonio Stiuso, alias Aldo Stiles ou Jaime, serait l’actuel directeur général des Opérations, troisième dans la ligne de commandement ; Horacio German Garcia, alias Garnica, un directeur de la Contre-intelligence et Roberto Saller, alias Gordo Miguel ou Roberto Silo ou Cilo, agent opérant de contre-intelligence, en charge des investigations sur séquestrations. Aussi important que le nettoyage des institutions pré-existantes est l’accomplissement de l’ordre légal de création de structures d’investigations nouvelles. Rien ne justifie continuer de dilater la mise en fonctionnement de la Direction d’Intelligence Criminelle, sous la dépendance directe de la Secrétariat de Sécurité Intérieure, comme l’ordonne la loi d’intelligence, qui a été promulguée il y a déjà cinq ans.

(...)

Si les séquestrations cherchent à installer l’idée que rendre justice a des conséquences insupportables, de façon à ce que l’unique solution soit l’impunité, accélérer les procédés pour qu’il y ait des condamnations et non seulement des détentions préventives, est une autre forme de protection aux plaignants, témoins, procureurs et juges. Depuis la séquestration de Lopez, le CELS a suggéré a différentes autorités judiciaires et du ministère public qu’une planification stratégique des procès permettrait de raccourcir le laps d’instruction de façon à ce que la plus grande quantité de témoignages soit concentrée. Répéter plusieurs fois la même histoire soufferte, parce que les cas ne sont pas regroupés par centre clandestin et parce que chaque disparition, torture ou exécution illégale est considérée comme un fait isolé, use les témoins et multiplie leur exposition, et leur mise en danger. Est aussi indispensable une action décidée qui empêche la Chambre Nationale de Cassation Pénale de continuer de paralyser les procès en attente que vainquent les délais maximaux de détention préventive pour ordonner des mises en liberté.

(...)

Le Conseil de la Magistrature doit désigner sans retards des juges auxiliaires ou des subrogants et le Pouvoir exécutif accélérer les nominations dans les tribunaux et les ministères publics vacants. Sans de telles décisions, cela n’aura aucun sens de se plaindre du fait que les juges n’avancent pas avec la célérité nécessaire. Les choses n’arrivent pas seulement par des actes de volonté mais comme conséquence de décisions rationnelles et d’application de ressources pour les mettre en pratique.

[1] Juan Jose Alvarez est entré à la SIDE sous la dictature militaire, ensuite il a été ministre de l’Intérieur du gouvenement de Eduardo Duhalde en 2002 lors de l’assassinat des piqueteros Dario Santillan et Maximiliano Kosteki.

Horacio Verbitsky, Pagina/12 (Argentine), 31 décembre 2006. Traduction : Fab, Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir

Voir : Argentine : URGENT, les nazis passent à l’offensive http://hns-info.net/article.php3 ?id_article=9337

 
< Précédent   Suivant >

Soutien !

Si vous voulez collaborer au site en proposant des traductions ou soutenir financèrement ce projet 100 % indépendant, merci de nous contacter !