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Radiographie du phénomène le plus spontané de la politique argentine après la crise (1/2) Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
17-12-2006

Les assemblées à cinq ans des "cacerolazos"

Elles ont explosé dans tout le pays et on en a compté jusqu’à 250 dans la Capitale et sa banlieue. Plusieurs existent encore comme espaces autoconvoqués avec des activités plus centrées sur le local et la solidarité. Témoignages de ceux qui ont vécu ces journées de décembre 2001 et continuent sur leur lancée.

De temps en temps, à Graciela Gurvitz lui revient à la mémoire le son des premiers "cacelorazos" (concert de casseroles) qu’elle a écoutées, ce 19 décembre, depuis la fenêtre de sa maison sur l’avenue Nazca. Elle ne pouvait pas deviner d’où ça venait, donc elle est descendu dans la rue. C’était comme un aimant, un appel irrésistible, l’invitation idéale pour aller décharger la colère accumulée, qui ce jour avait une raison ponctuelle : l’état de siège (d’urgence). Au coin de Jonte, elle a trouvé des dizaines de personnes qu’elle n’avait jamais vues et qui lui ont transmise une émotion inconnue. Ainsi, comme elle était en short, t-shirt et les clefs à la main, elle a commencé à marcher avec sa fille Veronica dans une direction. A Flores, elles ont fait demi-tour, trempées de sueur. Le jour suivant, elles sont sorties avec leurs ustensils et sont arrivées Place de Mai. Depuis lors Graciela a commencé à reconnaître dans le quartier les visages de ses voisins enmarchant et en s’embrouillant dans des conversations infinies qui neuf jours après ont terminées en une réunion de 400 personnes sur la place Aristobulo del Valle. Ainsi est née l’assemblée de Villa del Parque, l’une des centaines qui se sont reproduites sans cesser cet été là, et qui existent encore aujourd’hui.

A cinq ans de l’explosion sociale, on dénombre environ 40 assemblées à Buenos Aires. Elles font des travaux solidaires, de la production autogérée, des activités éducatives et culturelles, elles interviennent dans les affaires publiques et politiques et débattent jusqu’à la fatigue de manière horizontale, un trait qui tient à leur essence et a son écho dans des expériences plus nouvelles comme celles de Gualeguaychu et Esquel [1].

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Graciela, 54 ans, garde dans un sac les casseroles, les ustensils et les cuillers bosselées que parfois elle ressort avec nostalgie, avec le souvenir de ce sentiment d’enthousiasme étranger qui jaillissait au milieu du désastre. L’assemblée de son quartier a fonctionné longtemp sur la place, ensuite elle s’est déplacée dans un espace d’usages multiples du gouvernement de Buenos Aires, près des voies de chemin de fer, mais après qu’un registre civil est été mis en place dans le local, elle est revenu sur la place. "Au début, beaucoup allaient aux réunions pour décharger leur rage, peut-être parce qu’ils ne pouvaient pas retirer d’argent du distributeur, mais d’autres avaient des inquiétudes et des envies. Il y a eu des gens qui se sont rendus compte qu’ils ne vivaient pas la vie qu’ils voulaient vivre. Et des jeunes qui ont trouvé une vocation de social", repasse-t-elle. Graciela est dessinatrice de bijouterie, mais depuis cette fin de 2001 l’assemblée s’est convertie pour elle en activité médullaire.

Dans l’assemblée de Villa del Parque, il reste 15 personnes avec des activités très consolidées. Elles ont adopté, avec d’autres, un système d’économie solidaire. Tous les quinze jours, elles convoquent des producteurs indépendants, leur achètent leurs produits et les vendent dans la zone : huile de la coopérative Puente del Sur, Herbe à mate Titrayjú et produits d’entretien Burbuja Latina, élaborés par l’assemblée Gaston Riva. Les mardis, ils se réunissent avec l’assemblée de Villa Urquiza, qui fonctionne dans l’ex-pizzería La Ideal, où ils rassemblent les archives des assemblées. "Elles ont tous les tracts, bulletins, journaux, videos et photos de ces cinq années", décrit Graciela. En équipe avec l’assemblée de Cid Campeador, ils projètent une radio communautaire, pour que les organisations sociales puissent avoir leur programme.

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"Peut-être aujourd’hui tu ne vois pas sur la place tout le monde ensemble, mais nous sommes beaucoup à travailler de manière assambléaire, faisant des choses", dit-elle. "Les garçons de notre assemblée ont armé une salle de premiers secours, d’autres font du soutien scolaire, nous nous avons travaillé avec les "cartoneros" [2] et maintenant avec les travailleurs de l’ingenio Ledesma, et cela pourrait continuer", dit Graciela.

A leur début, les assemblées avaient des discussions chaotiques, interminables, caractérisées par une anxiété débordante et une incertitude absolue. Mais il y avait un fil conducteur, synthétisé dans la phrase "que se vayan todos" (qu’ils s’en aillent tous). C’était une manière d’exprimer le poids de l’opinion et des décisions populaires qui, alors, commençaient à s’articuler dans la forme assambléaire propre de la démocratie directe, face à un système politique dont la légitimité tombait en lambeaux.

"Les assemblées ont été la forme concrète que les secteurs moyens urbains ont trouvée pour assumer la responsabilité de leurs décisions en face du discrédit de la politique institutionnelle. C’était un recours qui était déjà utilisé dans les mouvements de chômeurs et piqueteros. Son expansion a été impressionnante compte tenu du caractère spontané", dit Federico Schuster, doyen de la Faculté de Sciences Sociales (UBA), qui a enquêté sur les mouvements sociaux. "Chaque assemblée, bien sûr, a son histoire : quelques unes ont adopté un profil plus centré sur les habitants du quartier, d’autres un profil plus politique, au point de prendre le nom de ’assemblées populaires’. Mais toutes ont été des expériences d’engagement citoyen et de débat politique. Elles ont discuté des questions très profondes, un autre modèle de société et de politique, et elles sont plusieurs celles qui sont encore en place", décrit-il.

(...)

Notes :

[1] Assemblée de Gualeguaychu : rassemble une partie des habitants de cette petite ville au bord du Rio Uruguay en lutte depuis 6 mois contre l’installation d’une fabrique de papier finlandaise (et la future pollution se l’environnement) en territoire uruguayen (c’est à dire de l’autre côté du rio). Régulièrement ils bloquent la frontière, ce qui génère un malaise diplomatique entre l’Argentine et l’Uruguay. Assemblée d’Esquel : en opposition à l’implantation d’une mine d’or de capitaux canadien et la pollution de l’environnement, les habitants de cette ville du sud de l’Argentine se sont réunis en assemblée et ont imposé la tenue d’un référendum largement remporté par le non à la mine. (NdT).

[2] Les "cartoneros" sont les pauvres qui, la nuit tombée, envahissent la ville de Buenos Aires pour récupérer le carton, le papier, le plastique... pour les revendre. Certains sont en processus d’organisation, coopératives, syndicat... (N.d.T.).

Irina Hauser, Pagina/12 (Argentine), 17 décembre 2006.
Traduction : Fab, Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir . http://amerikenlutte.free.fr

 
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