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Argentine: de la crise sociale à la crise politique Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
16-06-2008

La tentative de la Gendarmerie de libérer la route nº 14, avec l'arrestation pour quelques heures du dirigeant agricole De Angeli, a tendu encore plus la situation. Les barrages se sont généralisés et la Coordiantion agricole a décidé de reprendre le lockout (grève patronale) et a convoqué à une journée de protestation. Le Gouvernement a dit qu'il est ouvert au dialogue mais pas à recevoir une imposition. Plus tard, l'ex-présidet Nestor Kirchner a pris la tête d'une rassemblement sur la Place de Mai.

  

 

"Bon les gars, le ministre Fernandez a donné l'ordre de nous déloger, qu'il vienne lui nous déloger s'il veut", a défié Alfredo De Angeli (leader de la Fédération Agraire) depuis le barrage de la route 14. "D'ici, ils vont nous virer de force!", lui a répondu un autre agriculteur. À ce moment là, à la mi-journée d'hier, le président de la Fédération Agraire de la province d'Entre Rios faisait la sourde oreille à trois intimations de lever le barrage, transmises par la Gendarmerie mais surgies du ministre de la Justice, Anibal Fernandez. Au bout de quelques minutes, une "armée" de gendarmes a avancé sur les manifestants. Ils les ont sortis de la route de force, avec leurs boucliers et dans quelques cas avec des bâtons, bien que sans armes.
 
De Angeli a été traîné jusqu'à une camionnette et a été arrêté pendant cinq heures avec  18 personnes. Le fait a donné le pas à une nouvelle phase - plus extrême - de l'extenuant conflit qui a commencé il y a 96 jours quand le Gouvernement a imposé les rétentions mobiles (taxes aux exportations) et que les quatre organisations d'agriculteurs ont répondu par le lockout le plus long de l'histoire argentine. Hier soir, à 23h15, les organisations ont appelé à une nouvelle "grève" de commercialisation de céréales et de viande. La mesure de force a commencé à minuit aujourd'hui et prendra fin mercredi prochain à 24 heures. Ce jour là il y aura une "journée de protestation" dans tout le pays, avec des marches "dans chaque village" et avec l'invitation aux commerces, industries et travailleurs à se joindre au mouvement. Six heures avant cette annonce, l'Exécutif avait accusé les agriculteurs d'être responsables de tous les événements de la journée. La société est fracturée.

 Le lockout qui a démarré à minuit aujourd'hui est en réponse à la "provocation" qu'a signifié la "répression" de De Angeli sur la route et en raison du refus du Gouvernement de participer à la réunion qu'a convoquée lundi dernier le Défenseur du Peuple, Eduardo Mondino. Luciano Miguens, Eduardo Buzzi, Mario Llambias et Fernando Gioino (les présidents des 4 organisations agricoles) ont signé un communiqué qui a dénoncé la supposée contradiction du Gouvernement d'avoir négocié vendredi la levée de la grève des transporteurs routiers, alors qu'avec le secteur rural l'Exécutif soutient qu'il ne peut pas dialoguer tant que continuent suivez les mesures de force. "Il a perdu  crédibilité", ont-ils attaqué.

 

 "Ce fut une claire action de répression et de violence contre les producteurs ruraux qui ne faisaient rien", a reproché Buzzi à propos de l'arrestation de De Angeli, bien qu'en réalité il bloquait la route et s'est refusé à la déloger. Le président de la Fédération Agraire a utilisé la même logique pour pour se désintéresser des conséquences des barrages. "Nous demandons de ne pas entraver le passage de camions chargés de lait et d'aliments périssables, des véhicules particuliers et le transport de passagers", a-t-il indiqué. Cependant, la radicalisation du conflit provoque un désapprovisionnement d'aliments et de combustibles, une forte escalade de prix des produits de base et la perte de 4 millions de litres de lait par jour (quantité sufisante pour donner deux verres de lait à tous les enfants du pays). Ce scénario sera encore plus grave cette semaine et met le pays au bord de l'explosion.

Les routes qui hier matin avaient commencé à se libérer dans plusieurs provinces se sont à nouvea  couvertes de piquets, après l'arrestation de De Angeli. Ce fait a aussi secoué le panorama à l'intérieur de la Coordination agricole, puisque avant midi Gioino, président de Coninagro, s'était exprimé contre la proposition de la Fédération Agraire de revenir à la "grève" à partir de mardi, tandis que le soir ce dirigeant a terminé par soutenir le nouvel appel au lockout. Le secteur des organisations agricoles le plus enclin au dialogue, que partage aussi Miguens, a fini par se joindre aux positions les plus dures de la Fédération Agraire. Gioino a raconté que durant la journée, il a conversé avec le vice-président (de la République) Julio Cobos pour rapprocher des positions, mais qu'il n'a pas eu de réponse. Llambias, le titulaire de la Confédération Rurale, a aussi dit la même chose et a signalé qu'il avait conversé avec Cobos et avec le chef de cabinet Alberto Fernandez, avec le même résultat.

Pour les organismes agricoles, la balle est dans le camp du gouvernement, qui doit les convoquer à négocier. L'Exécutif a déjà affirmé qu'il ne le fera pas tant les agriculteurs continuent à vouloir "gagner ou gagner", comme l'a projeté Buzzi le 25 mai passé et hier Alberto Fernandez a recommencé à le lui reprocher. Dans la conférence de presse d'hier soir, Buzzi a insisté sur le fait que "personne ne veut que soit jeté du lait, mais plus de 4 millions de litres se perdent par jour à cause de la politique agricole que veut que l'on ordonne d'envoyer à l'abattoir des milliers de vaches" laitières. La solution, selon lui, est "d'augmenter le prix" du lait. Ne pas le faire, a-t-il soutenu, c'est une "sottise". La revendication d'une augmentation de la rémunération des producteurs laitiers, avec son impact sur les  consommateurs, remonte au début du conflit.

 
Avant tout cela, ce qui a suivi l'arrestation pour quelques heures de De Angeli a été une journée dramatique, avec une succession d'images mémorables comme s'il s'agissait d'un videoclip : cacelorazos dans différents quartiers (de classe moyenne) de la Capitale Fédérale contre la "répression", marche de caceroleros à la Place de Mai avec insultes au Gouvernement, le retour des barrages à Gualeguaychú et dans la majorité des localités où se développe la protestation depuis trois mois, une arrivée de groupes sociaux kirchneristes à la Place de Mai et le départ des manifestants qui sont "avec les agriculteurs", l'ovation à De Angeli après sa libération et son retour au barrage de la route 14 pour faire un discours super charismatique appelant à durcir la protestation coûte que coûte mais en étant attentifs à demander "la paix sociale", entrée de Hebe de Bonafini (président de l'Association des Mères de la Place de Mai) sur la Place, cacerolazo face à la résidence présidentielle d'Olivos avec un pancarte de "Montoneros jamais plus!" (les Montoneros était une guerilla péroniste qui luttait pour le retour de Peron dans les années 70), arrivée de militants kirchneristes à Olivos pour s'affronter aux caceroleros et les virer, et la cerise sur le gâteau, le débarquement d'un Nestor Kirchner et la moitié du Conseil des ministres sur la Place pour s'enlacer avec ceux qui défendent le Gouvernement "de la déstabilisation" ou "du coup d'État" leaderé par un secteur du pouvoir économique.

 


Chacune de ces images a été un message au reste des argentins, chacun cherchant à gagner leur adhésion. Après l'arrestation de De Angeli, l'opposition a réagi la première : Elisa Carrió (centre-droit) a demandé à suspendre l'application des rétentions (taxes aux exportations), Hermes Binner (PS) a appelé au dialogue et a répété la maxime paraphrasée par le dirigeant d'Entre Rios selon laquelle on ne peut pas croître "contre le champ", Mauricio Macri (droite) a soutenu qu'un "caprice" de Cristina Fernandez fait vivre au pays toute cette angoisse. Plus tard, le député kirchneriste Charles Kunkel et Luis D'Elia, ont retorqué que le pays assiste à une avancée "déstabilisatrice".

Le Gouvernement a fixé sa position dans une conférence de presse d'Alberto Fernandez et d'Anibal Fernandez. Le chef de Cabinet a réfuté les principaux arguments des agriculteurs : il a signalé que la légalité des rétentions, contemplées dans l'article 4 de la Constitution, il a nié qu'elles aient été pris dans le cadre de la loi des "mal appelés superpouvoirs", il a soutenu que les provinces reçoivent beaucoup plus que ce que ne rapportent les rétentions - il a donné l'exemple de Santa Fe, qui dans les cinq dernières années a obtenu 43 milliards de pesos -, il a signalé  que le Gouvernement "a écouté les demandes des agriculteurs et a donné une réponse" dans de nombreux cas, il a accusé les organismes de bloquer toute possibilité de dialogue et il a dit que, malgré cela, les autorités continuent à être disposées à négocier, mais "sans imposition".

Fernandez a catégoriquement nié qu'il ait été pensé à implanter l'état de siège, comme il a été spéculé durant l'après-midi. Mais il a souligné que face au désapprovisionnement, au lait jeté, aux facteurs de production qui n'arrivent pas à l'industrie et au fait que les argentins ne peuvent pas circuler, si le Gouvernement n'intervenait pas en essayant de déloger les piquets, il aurait été "complice" de cette situation. Il a aussi dit que si le Gouvernement cédait, "la gouvernabilité s'en retrouverait sérieusement affectée". "Nous croyons dans les règles de la démocratie. Nous ne pouvons pas nous en tenir à ce qui dit chaque secteur quand nous allons prendre des mesures", a-t-il défini." Ce qui est arrivé aujourd'hui (pour hier) est une nouvelle preuve que des dirigeants soutiennent l'idée selon laquelle la manière de protestation du piquet est valable", a-t-il assuré. "Elle n'est pas valable pour une Argentine qui a pu sortir de la crise et se développer durant cinq années consécutives", a-t-il rétroqué. Aujourd'hui sera un Jour de la fête des Pères chaud.


David Cufré, Pagina/12, 15 juin 2008.

http://www.pagina12.com.ar/diario/economia/2-106082-2008-06-15.html
 
Traduit par http://amerikenlutte.free.fr

 
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