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Brésil: traficants, milices et police font leur loi dans les favelas de Rio Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
21-06-2008

Le week-end dernier, trois jeunes habitants de la favela (bidonville) del Morro da Providencia, en plein centre de Rio, ont été remis par des militaires de l'Armée à une bande rivale, de la colline voisine de la Mineira. Les militaires agissent dans la Providencia depuis le mois de décembre dernier pour assurer l'implantation d'un programme du gouvernement fédéral destiné à améliorer la qualité de vie de ses habitants. Les trois jeunes sont apparus morts dans une décharge dans les faubourgs.

Un lieutenant, trois sergents et sept soldats ont été dénoncés à la Justice. C'est la première fois que des militaires de l'Armée sont surpris à remettre des habitants d'une favela pour être jugé et tués par des narcotrafiquants d'un groupe d'un autre bidonville. Jusqu'à présent, on avait seulement détecté des cas de déviations d'armes et de munitions de militaires aux trafiquants. Il s'agit d'un cas isolé, mais qui ouvre une nouvelle -et lourde- menace aux habitants des favelas de la ville.

Rio de Janeiro
  

Depuis un peu plus d'une année et demie, les favelas de Rio de Janeiro sont le théatre d'une dispute entre narcotrafiquants et milices, des groupes de policiers qui, en agissant pour leur propre compte, expulsent et imposent leurs lois, en transformant la région en négoce. Ils exploitent le transport local, la distribution du gaz, la vente clandestine de connexions illégales d'électricité et de télévision par câble, offrent une protection aux commerçants. Ils comptent sur le soutien de  conseillers municipaux et de députés de l'Etat de Rio, et à chaque tentative de répression réagissent avec des démonstrations de pouvoir qui se traduisent par l'assassinat d'un commissaire ou la séquestration et la torture de journalistes. Quand cela arrive, comme il y a peu, la réaction des autorités est inoffensive. Au meurtre d'un commissaire ont suivi quelques arrestations, mais sans affecter la structure de pouvoir et d'action des miliciens. La séquestration et la torture de journalistes a provoqué une grande vague de protestations de la part de la presse, mais la milice a continué comme auparavant.

La ville de Rio de Janeiro a autour de six millions d'habitants. Dans toute la ville, il existe environ 800 favelas qui abritent un peu plus d'un million et demi de personnes et sont démocratiquement distribuées sur la carte. Dans la dorée zone sud, il existe des quartiers très élégants – Leblon, Ipanema, Gavea – qui disposent de deux ou trois favelas chacun. Vivent côte à côte, l'opulence et le manque, et la violence est permanente. Toutes ces favelas, autour de cent, vivent sous le contrôle des milices. Aucune dans la zone sud. Les milices agissent basiquement dans les favelas horizontales, les trafiquants ont l'habitude de s'établir sur les hauteurs, dans les autres favelas qui croissent sur les collines, des positions stratégiquement favorables pour se défendre et pour défendre leur territoire. Les envahir serait très laborieux.

Les favelas sont de deux types : les verticales, construites sur les hauteurs des collines, et les horizontales, sur du terrain plat, et qui se situent basiquement dans les zones nord et ouest de la ville. Cidade de Deus (Cité de Dieu) est la plus peuplée et plus connue des horizontales. C'est la seule différence. Tout le reste est la même chose. La presque totalité des habitants des favelas est formée par des travailleurs, beaucoup venus d'autres Etats, et qui vivent sous une double cruauté : ils sont soumis aux lois brutales du trafic de stupéfiants ou à l'action d'une police également brutale, et invariablement corrompue. Maintenant une troisième voie est consolidée : les milices, qui expulsent les traficants, dominent l'espace et ne sont presque pas gênés par la police, puisqu'il s'agit, en fin de compte, de collèges.

Les deux bandes imposent les règles qui vont du couvre-feu et l'exil, à la loi du silence. Les invasions réalisées par des groupes rivaux intéressés à occuper des espaces sont constantes. Quand cela arrive, et cela arrive souvent, ce sont des nuits de fusillade et des matins avec des murs ornés par des marques de coups de feu et un ou plusieurs cadavres à l'intempérie, pour servir de leçon et d'avertissement.

La police formelle existe, mais cela ne signifie pas autre chose qu'une menace de plus. Quand elle entre dans une favela, elle agit d'une manière perverse : tous les habitants sont suspects, n'importe quelle porte peut être abattue à coups de pied, n'importe quel visage peut être la destination de coups et d'humiliations, n'importe quel mouvement peut justifier un tir. Les morts sont toujours coupables.

L'habitant d'une favela de Rio ne sait jamais qui craindre le plus, si un criminel de civil ou un en uniforme. Ceux du trafic ont l'habitude de rester plus de temps. Les autres, en uniforme, viennent, humilient, tuent et s'en vont.

L'actuel gouverneur de Rio de Janeiro, Sergio Cabral, a lancé une politique qui signifie envoyer dans les favelas des effectifs policiers spécialement terrifiants, dont l'action a signifié une augmentation de presque 40 pour cent du nombre de morts dans les deux dernières années. Les morts, dans la majorité des cas, étaient des citoyens communs et courants, mais "favelados" c'est-à-dire suspects. Pendant ce temps, l'action des milices s'étend et se consolide.

Un programme financé par le gouvernement du président Lula da Silva prévoit des oeuvres d'urbanisation dans beaucoup de favelas de Rio. Ce serait la première fois en plus de deux décennies qu'il soit proposé quelque chose qui ne se limite pas à la pure répression policière, c'est-à-dire, un programme de sauvetage social de la population. Précisément en une des collines où le programme s'implante, l'Armée a remis trois jeunes aux narcotrafiquants. Elle les a envoyés à la mort, sans contemplation.

On espère qu'aux trois croix qui menacent les "favelados" -narcos, police déguisée en milice et police formelle- ne s'en ajoute pas une quatrième, celle  de l'Armée comme complice des méthodes du trafic. Cela en serait trop pour les habitants de ces vastes zones de misère, d'abandon et d'humiliation incrustées dans la ville, qui insistent pour survivre.

Eric Nepomuceno (écrivain et journaliste brésilien. Son dernier livre est O massacre), Pagina/12, 17 juin 2008.

http://www.pagina12.com.ar/diario/contratapa/index-2008-06-17.html

Traduit par http://amerikenlutte.free.fr 

 
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