Inégalités et pauvreté : l'urgence de changer de modèle |
28-06-2008 | |
par Raul Zibechi* La guerre globale pour les aliments met en évidence le fait que les plans sociaux sont insuffisants pour pallier la pauvreté et que seul le dépassement de l'actuel modèle permettra de diminuer les inégalités qui sévissent dans la région. En seulement six mois, il y a eu 10 millions de nouveaux pauvres en Amérique latine. Bien que dans cette région le prix des aliments ait moins augmenté que dans le reste du monde (15 % contre 68 %), la quantité de pauvres est passée de 190 à 200 millions en seulement six mois, selon le sociologue argentin Bernardo Kliksberg, conseiller du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Mais c'est à peine le commencement. Le cas uruguayen, pour compléter un bref panorama de trois gouvernements surgis comme conséquence de la grande vague néolibérale, n'est pas très différent. Celui de Tabaré Vazquez est le seul gouvernement qui a mis en application une importante réforme fiscale, progressive, qui grève plus ceux qui ont de plus grands revenus. Mais elle ne grève pas le capital. Ainsi, les données avalisent la croissance des inégalités même dans les trois années de gouvernement progressiste. L'indice Gini, avec lequel on mesure les inégalités, s'est détérioré en Uruguay dans les 20 dernières années, c'est à dire depuis l'implantation du modèle néolibéral. Et il le fait de manière consistante, en périodes de crise ou de croissance, sous des gouvernements de droite ou de gauche. En 1991, il était de 41,1 %, pour passer à 45 % en 2002, au plus fort de la crise économico-financière. En 2005, quand a assumé Tabaré Vazquez, il est descendu à 44,1 % pour se situer en 2007 à 45,7 %. Même sous le gouvernement de gauche, et dans un pays qui présente le plus faible indice d'inégalités du continent, 20 % de la population continuent de concentrer de plus en plus de revenus, 46,4 % en 2001, 50,3 % en 2002, et 51,1 % en 2007, après la réforme fiscale. Il semble évident, comme le remarque le rapport cité plus haut des économistes Veronica Amarante et Andrea Vogorito, qu'on "ne peut pas s'attendre à ce que les politiques de transferts de revenus résolvent par elles seules" les problèmes de pauvreté et d'indigence. Elles se rapportent aux plans sociaux en vigueur en Uruguay, mais aussi au Brésil et en Argentine, plans qui ont allégé la pauvreté jusqu'à ce que la spéculation avec les aliments ait commencé à revertir les petites progressions des cinq dernières années.
Il semble hors de doute que ce qui est en question est la continuité du modèle néolibéral dans sa phase d'appropriation des biens communs (travail des mines, forestation, soja, canne à sucre pour agrocombustibles). Jusqu'à présent, l'exclusion et la pauvreté qu'il engendre s'adoucissaient avec les plans sociaux, qui dans le cas du Brésil concernent 25 % de la population. Mais la voracité du capital impose un changement de direction. Les réformes des impôts et des plans sociaux continueront d'être des instruments nécessaires. Mais la pauvreté et les inégalités ne baisseront de manière significative seulement quand l'actuel modèle d'accumulation par le vol et la spéculation sera abandonné et que sera mis en application un autre, assis sur la croissance endogène.
*Raul Zibechi, journaliste uruguayen, enseignant, écrit dans l'hebdomadaire uruguayen Brecha, le journal méxicain La Jornada et la revue italienne Carta. Il a publié "Généalogie de la révolte" (2003), (disponible en francais aux éditions CNT-RP) sur les luttes argentines de la dernière décennie, "Le regard horizontal - mouvements sociaux et émancipation" (1999) et "Les ruisseaux quand ils baissent - les défis du zapatisme" (1995). Ces livres ont aussi été édités dans Italie, Equateur et Espagne. Il collabore avec plusieurs organisations sociales de plusieurs pays. http://alainet.org/active/24806&lang=es Traduit par http://amerikenlutte.free.fr Du même auteur, voir aussi "Disperser le Pouvoir - Les mouvements comme pouvoirs anti-étatiques" |
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