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Bolivie : réforme et révolution Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
23-09-2008

Marco Aurelio Garcia, brillant conseiller de Lula en sujets internationaux, a l'habitude de résumer la situation de la Bolivie en une phrase : "le problème c'est le pays vit un processus de réformes, sans sortir du cadre démocratique, mais opposition et gouvernement agissent comme s'ils étaient en face d'une révolution".

Quelque chose de cela existe, naturellement, et il est logique que n'importe quel habitant du Brésil - un pays qui a l'habitude de mettre en oeuvre ses changements, de l'indépendance à la transition démocratique, de manière lente et apaisée - soit surprit devant les brusques oscillations du pendule bolivien. Mais il faut aussi dire qu'il n'est pas nécessaire de révolution pour réveiller l'active résistance des élites traditionnelles. Suffisent pour cela l'énorme effet symbolique de l'ascension au pouvoir d'un leader indigène, une nationalisation - par ailleurs assez négociée - des ressources naturelles, et une série de politiques sociales certainement plus ample que dans le passé, mais qui n'a pas mit en danger la situation macroéconomique la plus saine des dernières décennies.

Pour éviter les visions faciles qui tendent à expliquer tout ce qui arrive en Bolivie en des termes de harcèlement (ou persécution) impérial ou - à l'extrême opposé - d' excès de populisme, disons que le problème peut être défini à partir d'un double mouvement. Dans les dernières décennies, le pouvoir politique s'est affirmé dans l'occident du pays : la longueur du processus de construction politique qui a prit fin avec l'élection d'Evo Morales a commencé dans Le Chapare, la zone cocalera de Cochabamba, et a été marqué par plusieurs pics de mobilisation populaire : la "guerre du gaz" de 2003, initiée à Cochabamba et rapidement déplacé à La Paz, et la "guerre de l'eau" de 2005, dans laquelle les habitants de El Alto, métropole indigène la plus importante d'Amérique latine, ont forcé le départ de Carlos Mesa et ont ouvert le chemin pour l'arrivée d'Evo au Palais Quemado (1).

Sur ce long chemin, un nouveau bloc de pouvoir populaire a construit un projet politique situé géographiquement dans le coeur de l'occident, dans l'altiplano bolivien. Dans le référendum révocatoire d'août dernier, Evo a obtenu des records d'approbation dans ces zones, 82 pour cent à La Paz ou 83 pour cent à Oruro par exemple.

Mais tandis que le pouvoir politique s'affirmait dans l'occident, le pouvoir  économique se déplaçait à l'orient. Il y a un demi-siècle, Santa Cruz était un département éloigné du centre des décisions nationales, une zone rurale dépeuplée qui a récemment commencé à décoller après la Révolution Nationale de 1952, avec la construction du chemin de fer qui l'a connecté avec l'Argentine et une expansion de sa production agraire, dernièrement consacrée au soja. Aujourd'hui c'est de loin le département le plus prospère de Bolivie : selon la Chambre d'Industrie et de Commerce, il génère 30 % du PIB, engendre 62 % des divises, représente 50 % des exportations et reçoit 47,6 % des investissements étrangers. C'est de plus la région la plus intégrée au Mercosur (marché commun du sud) et celle dont l'industrie ressemble le plus à une industrie manufacturière (par rapport à celles des autres régions boliviennes).

Comme la Catalogne en Espagne, Santa Cruz est un centre de pouvoir économique qui revendique une marge de manoeuvre politique et qui a réussi à railler à sa cause des départements contigus, entre ceux-ci Tarija, où se situe la plupart des réserves stratégiques de gaz. Ensemble, les départements de la Demie Lune représentent 70 pour cent du PBI national. Quand, il m'a accordé un entretien à La Paz, le vice-président bolivien, Alvaro Garcia Linera, m'a dit que la clé de l'efficacité de la revendication cruceña a été d'avoir réussi à syntoniser son intérêt économique avec une vieille demande d'autonomie, qui n'a pas été inventée maintenant mais qui a été resignifiée en terme de progrès matériel par les élites patronales de l'orient.

Le mouvement, j'insiste, est double. D'un côté, un occident qui est politiquement renforcé, mais qui s'est affaibli dans en termes économiques comme conséquence  des réformes néolibérales et l'enffondrement de l'industrie minière dans les années 90. Et, d'un autre côté, un orient économiquement très puissant, intégré à la région, de plus en plus transnationalisé mais qui n'a pas réussi à articuler un projet national. Cela a défini des lectures opposées du drame national : pour le bloc indigène, le déclin est le résultat des réformes des années 90 ; pour les élites cruceñas, un effet du centralisme asphyxiant. Là réside le problème, plus que dans les opérations de déstabilisation de la droite (qui naturellement existent) ou les difficultés du gouvernement pour négocier et étendre son influence à tout le pays (ce qui est également certain).

Et ce n'est pas que ce soit quelque chose de nouveau. Luis Maira, spécialiste en politique internationale et actuel ambassadeur du Chili en Argentine, soutient que pratiquement dès le XIXe siècle, la Bolivie a constitué un cas paradigmatique de disputes et de désaccord parmi ses élites au sujet des objectifs du développement national (Revue Nouvelle Société Nº 209). Comme illustration, Maira rappelle que la Bolivie est le seul pays sud-américain qui a cédé des territoires à tous ses voisins : au Brésil, l'actuel état d'Acre ; à l'Argentine, des zones de la  Puna de Atacama ; au Paraguay, des secteurs du Chaco après la Guerre de 1932-1935, et au Chili, des territoires considérables après la Guerre du Pacifique. Actuellement, la Bolivie a une surface de 1.100.000 Km2, moins de la moitié du territoire original à l'époque de Bolivar.

Ces tendances centrifuges ont fait que la Bolivie traverse des cycles historiques similaires à ceux de plusieurs de ses voisins, mais en les vivant d'une manière particulièrement dramatique, avec des soulèvements populaires violents, des répressions féroces et un climat politique de crispation permanente. Peut-être est-ce pour cela que la Bolivie a produit dans les dernières années une quantité d'académiciens et de penseurs, beaucoup d'entre eux dispersés dans le monde, dont le poids intellectuel n'a pas de relation avec le modeste PBI modeste de leur pays. Fernando Calderon, un des ses brillants intellectuels, a l'habitude de répondre avec patience quand ses amis argentins nous lui demandons des nouvelles, en général avec étonnement, du dernier drame de son pays. Mais parfois, quand il est fatigué ou blessé ou triste, il préfère laisser les explications de côté et recourt à un vieil aphorisme mexicain : "celui qui dit qu'il sait ce qui se passe en Bolivie, c'est parce qu'il est mal informé".

1- En fait, pour être précis, on peut faire remonter le début du "procesus" à l'année 2000, qui est l'année de "La guerre de l'eau" à Cochabamba, ensuite viendront "La guerre du gaz" en 2003 à El Alto (entre autres) et la mobilisation encore à El Alto en 2005 pour expulser Suez de la gestion des eaux. (NdT).

José Natanson, Pagina/12, 17 septembre 2008.

http://www.pagina12.com.ar/diario/elmundo/subnotas/4-35329-2008-09-17.html

Traduit par http://amerikenlutte.free.fr

 
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