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Venezuela : nationalisation et contrôle ouvrier Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
14-02-2009
Entretien avec Juan Valor
 
S’il y a bien une voix qui s’est fait résolument entendre dans la défense des travailleurs de l’entreprise sidérurgique SIDOR, c’est sans aucun doute celle de Juan Valor. Une défense qui lui a valu des menaces et d’être poursuivi en justice. Mais cela n’a pas été vain : la promesse du président Chavez d’éliminer la sous-traitance dans les entreprises publiques est due en partie à la persévérance dans la lutte de ce syndicaliste.

L’entreprise sidérurgique SIDOR a été partiellement privatisée en 1997 par le gouvernement de Rafael Caldera, sous la houlette de l’ex-guérillero Teodoro Petkoff [1], devenu aujourd’hui porte-parole notoire de l’opposition.

Estimée à 8,5 milliards de dollars, la transnationale Ternium, au capital majoritairement argentin, a payé 1,5 milliard de dollars pour 59,73% des actions, un montant qu’elle a récupéré presque entièrement en utilisant le flux de trésorerie de SIDOR, au travers de contrats fictifs de transfert de technologie de ses entreprises filiales à l’extérieur. L’État vénézuélien a gardé 20,68% des actions et les travailleurs, en activité, ex-travailleurs ou retraités ont conservé les 19,59% restant. Les conséquences les plus graves de la privatisation ont été la réduction du personnel fixe, qui est passé de 18.000 à presque 4.000 actuellement, et l’augmentation démesurée des travailleurs « externalisés », au nombre de 9.000 fournis par d’autres entreprises sous-traitantes, mais qui exercent leur travail au sein des installations de SIDOR. Ternium n’a pas effectué les investissements auxquels elle s’était engagée dans la proposition de privatisation et a maintenu les salaires à un niveau plus bas que d’autres importantes entreprises de la zone, au travers de conventions collectives signés avec le syndicat des travailleurs fixes, le SUTISS.

Comme il était à prévoir, la patience des travailleurs a fini par s’épuiser. Le conflit issu du rejet du SUTISS des propositions de l’entreprise pour le renouvellement de la convention collective a débouché sur un long conflit (15 mois) au cours duquel l’ancien ministre du Travail du gouvernement bolivarien, José Ramon Rivero, et le gouverneur de l’État de Bolivar (État de la ville de Puerto Ordaz dans la périphérie de laquelle se trouve SIDOR), Rangel Gomez, ont défendu les positions de la transnationale. Des positions indéfendables, incommodes pour le gouvernement. La violente répression exercée par la Garde nationale envoyée par le gouverneur a envenimé encore plus les choses. Un large secteur des travailleurs fixes (pas tous : rappelons que certains étaient actionnaires et craignaient pour leurs actions) et tous les travailleurs externalisés » n’avaient de cesse d’exiger la renationalisation.

Il s’agissait d’une entreprise stratégique dont la production était indispensable pour le pays, qui était traversée par un conflit du travail dont on ne voyait pas la fin. La bonne relation des dirigeants de l’entreprise avec les Kirchner [Nestor et Cristina, présidents successifs de la République argentine] et les relations amicales de complicité entre l’Argentine et le Venezuela sur de nombreux fronts jouaient contre la nationalisation. Au final, le bon sens a gagné et Chavez a proclamé la nationalisation en avril 2008, un processus qui est encore en cours. Le président Chavez a récemment déclaré inacceptable qu’une entreprise publique repose sur des travailleurs « externalisés », ce qui a créé une lueur d’espoir pour des milliers de « sidoristas » dans cette situation.

SIDOR est en pleine ébullition, et ce qui s’y passe peut déterminer les formes que prendra, sur le front industriel, ce socialisme du XXIe siècle qui se construit de jour en jour sur l’accumulation des expériences. C’est de tout cela que nous avons parlé avec Juan Valor, syndicaliste du SUTISS affilié au courant Collectif de travailleurs en révolution (CTR, Colectivo de Trabajadores en Revolución).

 

  • Juan Valor.

 

  • J’ai lu dans la presse il y a un certain temps que la transnationale te poursuivait en justice. Pourquoi ?

Ils m’ont accusé d’appropriation illicite, de violation de la zone de sécurité et d’autres choses. Concrètement, c’est comme si moi j’avais volé quelqu’un ici. La seule chose que j’ai faite c’est de défendre les travailleurs. Ce procès est encore en cours. Je me présente tous les trente jours. Mais ce n’est pas la transnationale directement, cela vient d’une entreprise sous-traitante, Transportes Camila, que dirige Orlando Aguilar, un des prête-noms de SIDOR. Aguilar a au moins six autres boîtes de sous-traitance ici dans l’entreprise. C’est pratiquement un conglomérat. Un « compañero  » qui ne paie pas les bonus aux travailleurs, qui ne paie pas la sécurité sociale, qui maintient les travailleurs dans des conditions inhumaines, qui viole tous les droits fondamentaux des travailleurs … Et qui est encore là, dans l’entreprise. Comme je ne ferme pas ma gueule, ils sont passés par cette entreprise pour essayer de me faire condamner. Je ferai face à ce procès en disant la vérité comme toujours.

Le détonateur de la lutte qui a débouché sur la nationalisation de SIDOR fut la négociation de la convention collective. Mais, semble-t-il, les intérêts des travailleurs ne coïncidaient pas toujours. Il y en avait qui étaient actionnaires, d’autres non et puis il y avait aussi les « externalisés ».

Il y a à peu près 15.000 compañeros qui sont actionnaires et de ce total, plus de 11.000 sont à l’extérieur. Environ 4.000 travaillent ici, à l’intérieur. J’ai dit publiquement que si l’État vénézuélien s’empare de toutes les actions de l’entreprise pour la transformer en entreprise socialiste, je suis disposé à lui céder ma part. Mais il y a un groupe de travailleurs que ne veut pas céder ses actions. L’État vénézuélien devra prendre des décisions à ce propos. Mais si le consortium transnational garde 10%, alors, nous défendrons le droit de garder nos 20% d’actions. A l’heure actuelle, 1.400 travailleurs sur les 9.000 que comptent les entreprises sous-traitantes ont intégré le personnel de SIDOR. Progressivement, le reste de ces travailleurs, qui ne sont pas actionnaires, devraient être intégrés. Et là il va y avoir un problème. Car si 8.000 travailleurs non actionnaires entrent, un compañero pourra dire à un autre : « Toi, parce que tu es actionnaire, tu vas t’enrichir grâce aux dividendes issus de mes efforts… L’État vénézuélien doit résoudre cette question. Prendre tout le paquet actionnarial et le payer à qui il faut. Si l’État garde tout, je suis disposé à négocier, et même à lui céder, à les offrir, indépendamment de ce que cela pourrait apporter à ma famille ...

  • Cela signifie que la lutte qui était au départ uniquement revendicative de meilleurs salaires a pris une dimension politique, avec la demande ouvrière de la nationalisation.

C’est cela. Et nous sommes contents, même si tous les travailleurs ne la voulaient pas. Mais la majorité, si et bien entendu les « externalisés ».
Quel rôle ont joué les « externalisés » dans ce long conflit du travail ?
Il y a eu des mobilisations, oui, mais pour qu’on respecte leurs droits et qu’ils puissent participer à la signature de la convention collective. Mais les 9.000 travailleurs des entreprises sous-traitantes étaient d‘un côté et les 4.000 travailleurs fixes d’un autre. Ce sont ces derniers qui ont en général mené les mobilisations.

  • Comment en est-on arrivé à la nationalisation ?

Le président s’est finalement sensibilisé et s’est prononcé. Il ne disait rien et ce silence nous tuait. Dans la situation dans laquelle nous étions, au bord de l’explosion sociale, il était nécessaire qu’il parle. Le ministre du Travail lui-même était contre nous. Et on n’en pouvait plus. Je crois que certaines personnes ont fait prendre conscience au président de la situation : celui qui avait été ministre avant Rivero, José « Chino » Khan, l’actuel ministre, Roberto Hernández, les députés Oscar Figuera et Marcela Máspero, [l’ex-ministre du Travail] María Cristina Iglesias … Sans leur aide, on n’aurait pas pu atteindre le président pour lui expliquer ce qui se passait.

  • J’imagine qu’après la nationalisation, les travailleurs de SIDOR appuieront clairement le processus révolutionnaire ?

Pas tous. C’est une question politique. J’accepte qu’il y ait des travailleurs ou des dirigeants syndicaux qui aient d’autres idées, qui ne soient pas avec le processus. C’est leur choix, que je ne partage pas. Mais ce à quoi je ne suis pas disposé, c’est accepter qu’on viole les droits des compañeros.

  • L’entreprise a fait savoir que les travailleurs de SIDOR gagnaient beaucoup.

C’est un gros mensonge. Les travailleurs de SIDOR touchent moins que ceux des entreprises avoisinantes, par exemple celles de l’aluminium.

  • Et les travailleurs « externalisés » ?

Ils gagnent encore moins. Malgré le fait que les entreprises de sous-traitance qui fournissent les travailleurs facturent à SIDOR ce qu’elles veulent. Les « externalisés » sont dans des conditions infra humaines. Ils sont super exploités. Sais-tu qu’ils n’ont pas le droit d’aller aux toilettes, qui sont réservées aux travailleurs fixes ? Ils n’ont pas de lieu pour manger. A leur porte d’entrée, il n’y a quasi aucun abri quand il pleut. On viole les droits de plusieurs compañeros et on ne peut pas l’accepter.

  • Attends… Tu dis qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser les toilettes ? Ils font comment alors ?

Ils doivent aller dehors !!. Ils n’ont pas accès aux toilettes. Même certains compañeros de SIDOR leur bloquent le passage, les compañeros eux-mêmes. Je dis ceci et le dis devant n’importe qui : on ne va pas permettre que leurs droits soient violés même si c’est l’État le propriétaire. Et parce que je suis un révolutionnaire, je vais continuer à appuyer le président Chavez et je le remercie qu’il ait eu les couilles de récupérer l’entreprise, mais ici je vais me saigner pour défendre les compañeros « externalisés ».

  • D’un point de vue économique, est-il faisable que l’entreprise intègre tous les « externalisés » comme travailleurs fixes ?

Oui

  • Et ils sont formés professionnellement pour satisfaire les besoins de l’entreprise ?

Évidemment, ce sont les « externalisés » qui produisent la plus grosse partie de la richesse de cette entreprise. Ils travaillent au sein de l’aciérie, dans la production, et aussi dans le secteur administratif et dans le technologique. Il y a un bon nombre d’ingénieurs qui contrôlent toute la production et qui sont là en tant qu’ « externalisés ». Un tel statut n’est pas possible pour un tel profil. Ils doivent faire partie du personnel fixe. Maintenant qu’ils démontrent le contraire, qu’ils prouvent que ce n’est pas faisable de les incorporer. Chaque travailleur doit faire son travail. Celui qui ne le fait pas, il faut lui dire qu’il doit partir. Ça c’est vrai. Mais ceux qui accomplissent leur tâche, on doit les intégrer au personnel fixe.

  • Une fois le processus de nationalisation accompli et les « externalisés » intégrés, quelles sont vos propositions pour l’avenir ?

Nous proposons qu’il y ait un contrôle ouvrier du processus productif depuis le début. Parce que s’il n’y a pas de contrôle ouvrier, il se passera ici ce qui se passait avant quand il n’y avait pas de contrôle de la production, des ventes et de rien. Deux travailleurs, en qualité de représentants des travailleurs, un principal et un suppléant, seront dans le conseil de direction de SIDOR. Mais nous proposons en plus qu’il existe un contrôle ouvrier dans chaque département, que les travailleurs soient impliqués dans le processus de production, que je puisse demander au travailleur combien de tonnes ont été produites et où elles ont été emmenées et qu’il puisse me répondre. Cela fait partie du contrôle ouvrier dont on a besoin.

  • Cela signifie qu’il y ait un délégué ouvrier qui partage la responsabilité dans chaque département. C’est une espèce de cogestion.

C’est correct. C’est ce que nous voulons, c’est ce dont nous avons besoin. Propriété publique avec contrôle ouvrier. Évidemment, nous avons besoin que le travailleur qui est dans ce processus soit un travailleur honnête, qui ne se laisse pas mettre sous pression par la direction, parce que s’il se laisse manipuler, il se manipule lui-même. Nous avons besoin que le compañero soit le plus sincère possible pour avoir la capacité de corriger les erreurs, c’est ce dont nous avons besoin !

Notes :

[1] Teodoro Petkoff « occupa la direction de Cordiplan (le bureau central de coordination et planification) et dirigea la politique économique. Il mit en œuvre un plan agressif de privatisations que la revue Producto résuma un jour en une par le titre : ‘Le Venezuela, pays à vendre’ ». A lire sur RISAL.info à propos deTeodoro Petkoff : Teodoro Petkoff, une gauche comme il faut.

Source : El Viejo topo (www.elviejotopo.com/), n°249, octobre 2008.

Traduction : Frédéric Lévêque, pour RISAL (www.risal.info).

 http://risal.collectifs.net/spip.php?article2464

 
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