1909 - 2009, Simon Radowitzky, le justicier au grand coeur
10-11-2009
Par Osvaldo Bayer*
 
Le 9 novembre s'accompliront cent ans d'un événement qui a commotionné Buenos Aires. Un jeune russe de 18 ans avait exécuté avec une bombe rien de moins que le tout-puissant chef de la police de Buenos Aires, le colonel Ramon L. Falcon. L'exécuteur était un anarchiste appelé Simon Radowitzky et avec son action il a voulu venger ses compagnons assassinés le 1er mai de cette année 1909, lors de la répression encadré par le militaire contre la manifestation des ouvriers qui revendiquaient les figures des cinq anarchistes condamnés à mort par la Justice des États-Unis, pour leur lutte en faveur des huit heures de travail. 
 
Simon Radowitzky

 
Récemment sorti de l'adolescence, né en Russie, et "Juif de surcroit", comme le signalaient les chroniques de nos journaux, il a osé s'en prendre à celui qui apparaissait comme l'homme de plus de pouvoir dans tout le pays.
  

Le colonel Falcon avait été le meilleur officier du général Roca dans l'extermination des peuples originaires dans la Campagne dite du Désert. De plus, il était arrivé à la renommée dans cette Argentine conservatrice comme le répresseur des grèves de "conventillos", réalisées par les femmes immigrées qui se refusaient à payer les augmentations constantes des loyers de la part des propriétaires. Le colonel Falcon a démontré sa qualité d'homme de bien et son titre de colonel en faisant irruption à bâton rompu dans ces antres de misère et d'entassement qui étaient les domiciles misérables de 140 habitants par conventillo qui possédaient un seul 'excusado'  comme s'appelait les cabinets de cette époque. Comme Roca l'avait déjà réalisé le 1er mai 1904, Falcon a imité son chef ce Jour du Travailleur et a attaqué les soixante-dix mille ouvriers qui remplissaient la Place Lorea. Les chroniques diront ensuite qu'il y avait à leur place "36 flaques de sang". C'était une attaque féroce de lâcheté totale parce que, sans avis préalable, le militaire a ordonné à l'ensemble des fusils de la police d'ouvrir le feu contre les colonnes ouvrières. Mais les anarchistes n'étaient pas hommes à garder silence. A partir de ce moment, ils ont dit que le tyran allait payer de sa vie pareille lâcheté. Et c'est ainsi que ce jeune  russe, Simon, s'est offert de ne pas laisser impuni le crime du pouvoir. Il lui a jeté la bombe à la sortie d'un acte dans le cimetière de la Recoleta et le colonel tout comme son secrétaire sont décédés. Comment ont pleuré les journaux en donnant la nouvelle, en particulier La Nacion. Etait mort l'une des piliers du système.

L'histoire continuera avec le destin de Simon. Ils l'arrêteront. Ils commenceront un procès et le condamneront à mort, bien qu'il a toujours soutenu qu'il était mineur. Pour les mineurs et pour les femmes il n'y avait pas de peine de mort. Il le démontrera avec un extrait de naissance venu de Russie et sera condamné à  prison à perpétuité. Comme n'a pas eu de succès une évasion préparée par ses compagnons anarchistes, il a été déplacé à Ushuaia, la Sibérie argentine, où tout prisonnier allait mourir indéfectiblement. Pire encore, quand arrivait l'anniversaire de son attentat contre Falcon, on le condamnait à être une semaine dans un cachot au grand air, sans chauffage. Mais le "Russe" Simon s'est converti en âme de la prison. Il donnait toujours le premier pas au front de la protestation quand un autre prisonnier était puni ou des injustices étaient commises. Il a été durant tout son séjour le vrai "délégué" défenseur de ces prisonniers communs. Et des politiques. Pour cette raison, on le soumettait à un traitement de terreur. Mais l' "Ange d'Ushuaia", comme on l'appelait, n'avait pas crainte des représailles des gardiens. Ceux qui lisent La maison des morts ou Le sépulcre des vivants, du grand écrivain Dostoievsky, qui décrit les prisons de la Sibérie, et souffrent avec les souffrances des condamnés,  ne soupçonnent pas qu'en territoire argentin un endroit exactement identique a existé, construit par Roca, d'où sont très peu nombreux ceux qui en sont sortis vivant ou sont retournés dans la société avec leurs facultés mentales normales.
 
 
Les anarchistes de tout le pays se sont toujours rappelé de Simon et ont lutté dans de grandes journées de manifestations pour sa liberté. Et ils ont tenté une opération comme seuls les anarchistes savaient les préparer. Ils ont réussi à le libérer et à l'embarquer dans un petit voilier en direction du Chili mais, près de Punta Arenas, des gardes chiliens le surprennent et le remettent à nouveau aux autorités argentines. La vengeance sera terrible : Simon sera enfermé pendant plus de deux ans dans une cellule, isolé, sans voir la lumière du soleil et à demie ration. Mais dans les cercles ouvriers et politiques, Simon gagne de plus en plus de popularité. Les rues de Buenos Aires et d'autres villes seront peintes avec des "Liberté pour Simon" et son portrait apparaît dans les éditions de toutes les publications libertaires.

Pendant ce temps, ils lui envoient de l'argent qui est recueilli dans les fabriques. Mais Simon n'en profite pas pour lui et le répartit entre les malades du pénal et pour l'achat de livres pour la peu fournie bibliothèque de la prison. Les demandes de grâce pour le prisonnier pleuvent sur le président Yrigoyen, qui finalement la lui octroiera le 13 avril 1930. Simon avait souffert vingt-et-un ans en prison. Mais la réaction des militaires et de la presse est très grande contre la décision du premier mandataire. Le prisonnier emmené sur un bateau de la marine de guerre jusqu'au Rio de la Plata. Là il est obligé de se rendre à Montevideo et est donc expulsé du pays vers l'Uruguay.

Là, sur l'autre rive, il est reçu par des manifestations ouvrières qui l'hébergent dans leur siège et le saluent comme le meilleur compagnon. En retrouvant sa liberté, Simon se rappelle de ses compagnons prisonniers à Ushuaia et il dira : "La séparation de mes compagnons d'infortune a été très douloureuse". Il commencera à travailler quelques jours plus tard comme mécanicien et ensuite s'offrira comme messager entre les anarchistes d'Uruguay et ceux du Brésil. Jusqu'à ce que la démocratie prenne fin dans la Bande Orientale et commence la dictature de Terra qui ordonne son arrestation. L'anarchiste est confiné sur l'île de Flores. Là les conditions sont terribles. Il doit dormir dans une cave. Il restera plus de trois ans dans ces conditions jusqu'à ce que ses compagnons d'idées obtiennent sa liberté. Mais en arrivant à Montevideo, il est à nouveau arrêté et porté en prison. Jusqu'à ce que, libéré à nouveau, il décide de partir en Espagne où la guerre civile a éclaté avec le soulèvement des militaires de Franco contre la République. Là-bas Simon fera partie des groupes qui lutteront contre les militaires franquistes. Mais il n'utilisera pas d'armes, il officiera comme transporteur d'aliments pour les troupes du front, principalement pour les soldats qui sont dans les tranchées. Jusqu'à ce qu'arrive la défaite du peuple et Simon sera une des nombreuses personnes qui se réfugieront en France et de là il pourra s'embarquer vers le Mexique.
  Simon Radowitzky
Au Mexique il demandera à travailler dans une fabrique de jouets pour des enfants. De cette manière s'écouleront les seize dernières années de sa vie entre le travail, les discussions et les conférences qu'il donnait à ses compagnons d'idées. Il a toujours soutenu, jusqu'à la fin, que la grande révolution humaine pouvait seulement la faire le socialisme libertaire, jusqu'à obtenir la paix éternelle et l'égalité entre les peuples.

En Argentine, les maîtres du pouvoir ont toujours essayé d'ignorer cette figure qui paraissait sortie d'un roman de Dostoievsky. Celui qui avait levé la main pour éliminer un tyran et qui dans sa vie postérieure s'est comporté comme un être de bonté extrême et d'esprit de solidarité avec ceux qui souffrent. Dans la décennie  soixante j'ai publié une étude de cet être humain que j'ai titré : "Simon Radowitzky: martyr ou assassin ?", dans la revue Todo es Historia que dirigeait Felix Luna, défunt il y a quelques heures. Je remercierai toujours à Falucho Luna ce geste, de me permettre de publier dans ses pages des investigations sur les héros libertaires qui ont agi dans notre pays dans les premières décennies du siècle passé.
 
 

* Osvaldo Bayer est l'auteur, entre autres, de La Patagonie rebelle, Les anarchistes expropriateurs, Severino Di Giovanni, l'idéaliste de la violence.

Article paru dans Pagina/12, 07 novembre 2009.
http://www.pagina12.com.ar/diario/contratapa/index-2009-11-07.html
 
Traduit par http://amerikenlutte.free.fr