Argentine: nées de la crise, les entreprises récupérées ont réussi à se conforter
13-10-2010

Une étude réalisée par la Faculté de Philosophie et de Lettres montre que tandis qu'en 2003 il y avait 128 entreprises récupérées dans le Grand Buenos Aires et dans la capitale, maintenant leur nombre s'élève à 205 et elle emploie presque dix mille travailleurs. L'État et les syndicats sont leurs nouveaux soutiens.

 

Loin de s'éteindre, l'expérience des entreprises récupérées s'est installée et montre un flux constant de nouveaux cas. Ainsi le signale le Troisième Relèvement du secteur réalisé par le Programme Faculté Ouverte de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Buenos Aires (UBA); le rapport révèle que les récupérées continuent de croître en nombre et en travailleurs. L'une des conclusions de la recherche est que la formation de coopératives ou d'entreprises autogérées comme la manière de préserver le travail a été incorporée par les travailleurs comme un outil d'action face aux conflits qu'auparavant ils considéraient sans solution.

Le relèvement a été présenté samedi dans le centre culturel de l'imprimerie récupérée Chilavert. Le directeur du programme, Andrés Ruggeri, avec l'aide d'un Power Point a montré les principales données de ce qui est, tout compte fait, la carte la plus complète qui existe sur le sujet, carte réalisée sur la base des visites dans chaque coopérative de la part des chercheurs, 85 étudiants universitaires. L'université avait déjà fait deux autres relevés généraux, en 2003 et 2004, et ensuite - en 2007- une étude de la situation dans la ville de Buenos Aires. Cela lui permet de faire des comparaisons dans le temps et de détecter des changements et des tendances.

L'une des nouveautés de cette époque consiste en ce que d'autres acteurs apparaissent, signalés par les travailleurs comme leurs soutiens. En premier lieu, dans les processus de récupération le plus fort soutien continue d'être celui des autres entreprises récupérées, mais maintenant apparaît l'État (ce n'était pas le cas dans les années antérieures) et l'importance octroyée aux syndicats a augmenté, avec l'affaiblissement des mouvements sociaux. Peut-être le tournant le plus frappant est celui donné par les syndicats qui, autour de 2001 lors du pic de ce phénomène, étaient hostiles à la prise d'entreprises et à leurs réouverture de la part des travailleurs, à la seule exception de l'Union Ouvrière Métalurgique (UOM).

Parmi le public réuni au premier étage de Chilavert, cependant un autre sujet a emporté tout l'intérêt : la situation des travailleurs et, spécialement, la manière dans laquelle ils  réalisent de nouvelles incorporations dans leurs coopératives. Conformément au relèvement, aujourd'hui dans les entreprises récupérées travaillent 9362 personnes (en 2004 ils étaient 6900). Cette croissance a découlé non seulement du fait qu'il y a de nouvelles entreprises autogérées, mais aussi du fait que les anciennes ont incorporé de nouveaux travailleurs. Le conflit réside dans le fait qu'un nombre élevé des incorporations se font sous contrat.

Comme les coopératives de travail (c'est la forme légale que toutes les récupérées ont adoptée pour pouvoir impulser l'expropriation des machines et des édifices), les entreprises autogérées peuvent seulement prendre des gens en qualité d'aspirants à associés, avec un délai probatoire de six mois, au bout duquel elles doivent définir si elles les intègrent. Dans la recherche, il ressort que 46 pour cent des entreprises récupérées ont dans leurs rangs des travailleurs qui ne sont pas des associés, dont 45 pour cent le sont au titre d'aspirants et 21 pour cent figurent dans la recherche comme étant juste embauchés sans plus de détails, c'est à dire que l'on ne sait pas dans quelles conditions.

Cette donnée a servi à ouvrir la discussion sur les difficultés des entreprises récupérées sur ce point, une question sensible parce qu'elle tient à leur identité. Si dans des époques de croissance, elles pensent augmenter leur nombre de travailleurs, quand leurs ventes tombent en déchéance ou que le marché se rétrécit, elles ne peuvent pas appliquer la recette classique des entreprises privés et jeter des gens. Il leur reste le recours que chaque associé emporte moins d'argent chez lui à la fin du mois, mais cela met en crise la coopérative. Dans quelques cas, il y a des coopératives qui ont collectivement décidé de faire des suspensions rotatives. Dans tous les cas, il y a un panorama qui rend très complexe pour les récupérées de prendre la décision d'augmenter des postes de travail.

Pour certains des travailleurs présents dans le débat, la solution serait de permettre aux coopératives de travail de prendre un personnel en relation de dépendance. Les autres ont proposé que le délai probatoire pourrait s'étendre à deux ans, parce qu'associer un nouveau membre à une coopérative est une décision trop lourde. La majorité a exprimé que les lois qui s'appliquent au secteur ne sont pas adéquates; elles ont été faites pour des coopératives de travail, mais les entreprises récupérées ne sont pas nées comme coopératives, mais elles ont du adopter de force cette figure légale. Le travail autogéré, ont-ils tous coïncidé, c'est autre chose.

Le défi d'incorporer des travailleurs ne trouve pas encore de manière d'être résolu, et il se montre comme le grand sujet des prochaines années.

Le rôle de l'État apparaît comme complexe et contradictoire. "Le fait de ne pas avoir une politique cohérente, l'État prête attention aux récupérées avec des actions isolées", a signalé Ruggeri. Le soutien passe au travers de subventions : 85 pour cent des récupérées a déclaré en avoir reçues, la majorité au travers du Ministère du Travail, qui a créé le Programme Travail Autogéré, et ensuite au travers de l'Institut National d'Associativisme et d'Economie Social (INAES) et du Ministère de Développement Social. Le relèvement a détecté, cependant, qu'il n'existe pas de politique unifiée même dans l'octroyement des subventions qui, en général, a lieu après que les propres travailleurs fassent pression et cherchent "dans les recoins" de l'administration la possibilité de les obtenir. Pendant ce temps, le gros des expropriations continue sans être payées par l'État ce qui donne lieu à des procès d'expropriation inverse et une législation spécifique pour le secteur n'a pas été sanctionnée, ce qui  laisse les entreprises autogérées sans accès au crédit - puisqu'elles n'ont pas la propriété de leurs immeubles - même de la part de la banque nationale, et sans pouvoir accéder aux plans de promotion pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME).

Malgré ce panorama de difficultés, les entreprises récupérées sont une réalité consolidée et vitale. Sur les 128 estimées comme existantes en 2003, leur nombre est  passé à 161 en 2004 et à 205 actuellement. Bien que la majorité se trouve dans la Capitale Fédérale et dans le Grand Buenos Aires, dans les dernières années leur augmentation est devenue plus notable dans l'intérieur du pays. Le relèvement signale que la crise internationale a généré une nouvelle portée d'entreprises récupérées, mais en général ce qui se voit est un flux stable de nouvelles récupérations. Le taux de permanence des autogérées est aussi élevé, autre indicateur de la potentialité du secteur.

Laura Vales, Pagina/12, 12 octobre 2010.
http://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-154759-2010-10-12.html

Traduit par http://amerikenlutte.free.fr