Chili: la famille Pinochet en prison
07-10-2007

Les cinq enfants et la veuve de l'ex dictateur Chilien ont été arrêtés avec 17 autres personnes pour malversation de fonds publics. L'inculpation avait été entamée après la découverte d'un compte secret avec des millions de dollars dans la Banque Riggs des Etats-Unis.


D'abord ce qui est évident : l'arrestation de la famille Pinochet et ses acolytes est un acte de justice qui est arrivé tard, mais qui est arrivée. Comme Al Capone, ils ne sont pas tombées en raison de leur responsabilité dans les innombrables cas d'assassinats, de séquestrations, de tortures et de disparitions pendant la dictature pinochetiste, même pas pour l'usurpation des pouvoirs de l'État. Ils sont tombés pour voleurs, pour amasser une fortune sur le dos de leur peuple.

Mais ils sont tombés quand personne ne s'y attendait, et ils sont tombés à un moment spécial pour la presidente du Chili, Michelle Bachelet, la fille du général démocrate qui est mort dans une prison pinochetiste pour défendre la Constitution. Bachelet ne passe pas par son meilleur moment. Deux années de gouvernement essentiellement technocratique n'était pas ce qu'avaient voté ses sympathisants. Après avoir supporté de successives protestations massives d'étudiants, de mineurs, d'usagers des transports publics et de travailleurs syndicalisés, avec son indice d'approbation en baisse constante jusqu'à atteindre 35 pour cent cette semaine, Bachelet a compris qu'il était temps de faire face à la question sociale et d'accomplir la promesse de son parti, le socialiste, d'avancer avec des réformes redistributives.

À cet effet, il y a un peu plus d'un mois, Bachelet a formé un Conseil de notables, qui inclut le chef de la droite Joaquin Lavín, et l'a chargé de la rédaction d'un projet de loi de « salaire moral » pour élever le minimum salarial, de garantir le droit de grève, de renforcer les syndicats et de promouvoir des plans sociaux. Elle a aussi chargé son ministre du Travail d'un autre projet de loi de réforme des retraites qui habilite un retour au régime de répartition et qui y permette l'entrée des banques et des syndicats.

De telles mesures sont résistées par les chefs d'entreprise, qui à travers des médias qu'ils contrôlent (presque tous) ne lésinent pas sur les critiques de la presidente. Les Fonds de Pension se résistent à la réforme. Les industriels se plaignent des coûts du travail et menacent de revoir leurs investissements. Le cliché qu'a imposé l'establishment est qu'à Bachelet "il lui manque gouvernabilité".

Par la gauche il ne lui va pas beaucoup mieux. La CUT, la centrale ouvrière dominée par communistes et socialistes, a refusé de faire partie de la commission sociale. Avec le vieil argument péroniste que les commissions servent seulement à faire dormir les projets, ils exigent du gouvernement qu'il cesse de tourner en rond et présente une bonne fois pour toutes son paquet de lois progressistes.

De plus, le chaos créé par la réforme du transport public dans la capitale coûte au gouvernement du soutien public. Le désastreux début du nouveau système appelé Transantiago. il y a un peu plus de deux mois, a laissé des millions de personnes sur le bord des rues dans l'attente d'un bus qui n'arrive jamais, ou en faisant la queue pour être écrasé dans un wagon de métro chargé comme boîte de sardines. Après trois jours de fureur avec la presidente hors du pays, Bachelet a réagi en nommant un tsar démocrate chrétien, Rene Cortazar, avec un chèque de 290 millions de dollars pour qu'il mette des bus dans les rues et règle la catastrophe logistique. Mais les problèmes persistent.

Bachelet a inclus un renforcement de 145 millions de dollars pour le transport dans le budget de l'année prochaine, mais Cortázar lui a fait une maigre faveur en disant qu'il allait régler le problème avant décembre ou, si non, il allait renoncer. Ce sur quoi les opposants ont réagi en affirmant par exemple que Bachelet est tellement faible que les ministres la menacent avec des démissions.

Les choses sont telles pour la première femme à atteindre la présidence du Chili que ses critiques machistes aiment la comparer avec son populaire prédécesseur, Ricardo Lagos. Quand Lagos s'énervait, il avait « le sens du commandement ». Quand Bachelet s'énerve, « elle a mauvais caractère ». Quand Lagos s'émotionnait, il montrait sa « sensibilité ». Quand Bachelet verse une larme, c'est parce qu'elle est « faible ».

Isolée politiquement, mise cause par la droite et par la gauche, Bachelet avait besoin d'un air frais. Le jugement de la Justice Chilienne la met une autre fois dans un rôle dans lequel elle se meut comme un poisson dans l'eau et dans lequel les applaudissements dépassent pour beaucoup les huées. C'est le lieu de la victime sans rancoeur, qui impulse la recherche de la vérité et la condamnation des coupables, mais avec un esprit conciliateur, toujours en respectant les temps de la Justice, avec des gestes pour ses adversaires politiques comme celui  de s'habiller en noir le jour où est mort le dictateur.

Dans ce contexte il est clair qu'une politique active des droits de l'homme de nos jours sert à étayer le gouvernement au Chili, ici et dans une grande partie de l'Amérique latine. Au-delà des raisons pour lesquelles  les gouvernants le font, que ce soit par conviction ou par opportunisme, que ce soit par un mélange des deux, le soutien qu'ils reçoivent pour le faire montre combien a avancé la culture démocratique dans les 30 dernières années et sert d'impulsion à avancer dans la recherche de vérité et justice.

Santiago O’Donnell, Pagina/12, 05 octobre 2007. Traduction: http://amerikenlutte.free.fr